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éric calassou

  • CHRONIQUES DE POURPRE 685 : KR'TNT ! 685 : MONSTERS / FOAM ARTIFACT / MC5 / COURETTES / KIM WESTON / ROCKABILLY GENERATION NEWS / KRIMARKISIA / ERIC CALASSOU / POGO CAR CRASH CONTROL

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 685

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    10 / 04 / 2025

     

    MONSTERS / FOAM ARTIFACT

    MC5 / COURETTES / KIM WESTON

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    KRIMARKISTA  / ERIC CALASSOU

    POGO CAR CRASH CONTROL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 685

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Monsters class

    (Part Three)

     

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             Ils nous font le coup à chaque fois : ils arrivent comme des membres d’une fanfare municipale, en vestes de gala rouges et pantalons noirs, et ils se congratulent par avance en se serrant la main avec de francs sourires. La seule différence avec les autres fois, c’est qu’il en manque un. Les Monsters ne sont plus que trois. La scène du Supersonic est tellement riquiqui qu’il n’y a de place que pour une seule batterie, alors que le power des Monsters repose sur la double batterie. Mais ta déception ne va pas durer longtemps.

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            Beat-Man commence par démonter les grilles de sa colonne d’ampli pour avoir le son plus direct des haut-parleurs. Il branche sa gratte, crack, et c’est aussitôt l’hallali ! Bim bam boom ! Tout ce que tu veux ! Beat-Man, c’est Zeus, il bouffe le rock tout cru, il tonne du blast à la tonne, il te tombe sur le râble avant que t’aies eu le temps de dire ouf, tu prends «Searching» en pleine poire, t’es au début et à la fin du rock, t’es au cœur du problème, t’es dans l’absolue réalité du blast, dans l’absolue nécessité de l’instant, Beat-Man te cloue à la porte de l’église, il te trashe les globules,

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    il te gave comme une oie, en seulement deux minutes, il te donne tout ce que tu peux attendre d’un concert de rock : la folie, le power, la véracité, la violence, la pureté, la magie, tu peux rameuter des milliers des mots pour tenter de situer la grandeur de Beat-Man, il t’échappera encore, car il est extraordinairement puissant. Il est l’incarnation de Zeus, c’est sûr, mais aussi celle du diable, un diable rigolard qui grésille d’intensité, qui dégouline fièvres malignes, qui se fond dans le rouge des spots, qui défie les lois de la physique, qui broie les atomes de l’air, Beat-Man, c’est du rock nucléaire, il est le White Light White Heat des temps modernes, il fracasse

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    les correspondances, il éclate les déconfitures, il carbonise les carlingues, il éviscère la véracité, il tire sur la corde comme un dingue, il démonte la gueule des limites, oui, c’est un diable magnifique qui propose de temps en temps des «heavy metal songs» qu’il joue avec une abnégation trucidaire, il t’aplatit l’imaginaire et te laboure la cervelle avec des solos encore plus heavy et déviants que ceux de Leigh Stephens au temps de Blue Cheer, et tu vois son œil briller. Son trash-rock est un trash-rock qui ne pardonne pas, qui ne revient jamais sur ses pas, c’est un sommet du genre, il porte le blast à incandescence, Beat-Man bat Lemmy et tous les cracks du genre à la course. Beat-Man is the Last Punk Standing, comme dirait Wild Billy Childish, son dernier concurrent.   

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             Beat-Man est le seul à savoir chanter aussi bien la mort («Dead»), qu’il enchaîne avec cet épouvantable blaster qu’est «Smell My Tongue». Quand il fait distribuer des sous-bocks, c’est pour faire chanter la salle avec lui sur «Yellow Snow Drink» et tout le monde y va de bon cœur - I’m gonna kill/ Myself/ Tonight - Ça le fait bien rigoler - I took my gun/ And shoot me up space - Et ça repart pour de nouveaux sommets, alors tu vois cette silhouette hallucinante se détacher dans le feu des spots, il se jette tout entier dans le chaos, comme s’il voulait repousser les limites de l’apocalypse.

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    Beat-Man reprend à son compte toute la mythologie du blast - c’est-à-dire Stooges/Motörhead/Saints/Lazy Cowgirls/Turbonegro /Dan Melchior/JSBX/ Headcoats/Hot Snakes - mais à la puissance mille. Tu sens ça lorsque tu passes une heure à ses pieds. Tu sens cette énergie hors du commun.

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             On retrouve tous les temps forts du set sur You’re Class I’m Trash. Toute la folie scénique s’y trouve, t’as 9 blasters sur 13 cuts, c’est un sommet du genre, il enchaîne «Gimme Germs», «Smell My Tongue», «Carpool Lane», «Dead» et «Stranger To Me», Beat-Man n’en finit plus de partir en vrille de la mort qui tue, dans le Louder Than Death cher à Lemmy, ton cœur balance au rythme de Beat-Man, Deeeeaaaaaad ! Et tu l’entends partir en vrille extra-liquide de solace d’excelsior, il ramène dans l’actu la disto liquide de Blue Cheer. Tout cela est extravagant de classe trash. Il ne dépasse pas les bornes, il les explose. Beat-Man est un blaster fou. Et ça continue ventre à terre avec «Electrobike Asshole» et ce «Get Drunk On You» encore plus barré. Puis il s’en va faire le diable dans «Devil Baby», I want you child, c’est atrocement génial, bombardé de son, dommage que Saint-Jean ne soit plus là pour écouter ça, car c’est le gendre d’apocalypse qui lui plairait. Beat-Man bat encore tous les records de trash avec cette dégueulerie qu’est «My Down Is Your Up». C’est l’un des albums du siècle. Comme le disait si bien Paul Alessandrini autrefois, pèse le pour et le contre et cours chez ton disquaire.

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             En 2017, Beat-Man fit une fois de plus trembler la terre avec M. En effet, une bombe se planque en B : «Nothing You Coward», pure merveille de beat intensif, d’autant que Beat-Man part en killer solo flash intersidéral. Et juste avant ça, il réinvente le garage moderne avec «Happy People Make Me Sick». Beat-Man s’y défosse d’un glou-glou à l’Anglaise, il fait son Eddie Phillips, c’est une véritable merveille et un honneur pour le lapin blanc que d’écouter ça - Get out of my fucking way/ You make me sick - et ça continue ainsi ad vitam aeternam. Une merveille des temps modernes. Puis dans «Too Pretty To Be Loved» qui sonne un peu prog, Beat-Man passe un solo de commotion atrocement bon, complètement congestionné de la ciboulette. Toute la folie du garage est là. Pas la peine d’aller chercher ailleurs. Et ça monte encore d’un cran terrible avec un «You Will Die» pris au heavy beat et d’une intensité qui dépasse carrément l’entendement. Le pauvre entendement n’a jamais vu ça de sa vie. Beat-Man pousse des cris sauvages, c’est embarqué à la basse, alrite, avec toute la folie de disturbance dont est capable ce Monster. Alors que s’abat la colère de Dieu sur la terre, il se dresse dans le tonnerre de l’apocalypse. Mais quand on attaque l’album normalement, c’est-à-dire par «Baby You’re My Drug», on se dit que c’est bon de retrouver ce vieux compagnon de délire. Beat-Man crée bien son monde. Ce cut d’ouverture de bal nous submerge aussitôt, tel une marée de gélatine noire et glacée. Avec «I Can’t Stop», les deux batteurs enterrent le beat au plus profond des catacombes. Encore une belle leçon de garage avec «Not Enough». Beat-Man ne prêche pas dans le désert et il passe au heavy sludge de dégoulinage d’exaction dépréciative embusquée avec l’effarant «I Don’t Want You Anymore». Oh, il y pique même une authentique crise de tituberie bulbique. Il termine cette A pulmonaire avec «Bongo Fuzz», un bel instro fuzzé de frais et gavé de basse. Quant au beat, c’est un rêve.

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             Dommage, l’album du Reverend Beat-Man & The New Wave paru en 2018 est un peu raté. Blues Trash n’a de blues trash que le premier cut de l’A, «I Have Enough». Il dit qu’il en a marre de ses mensonges et de what you tweet. Il dit son ras-le-bol sur un beat des catacombes beaucoup trop prévisible. Beat-Man tourne en rond. Il reste dans le boogaloo craouette pour «I’m Not Gonna Tell You». Mais ça ne veut pas décoller, même si coule une belle morve de fuzz sur nos gueules énamourées. Puis, petit à petit, il nous emmène dans une sorte de Balajo. Il va même se mettre à sonner comme la Mano Negra, ce qui est très ingrat. Comme il n’a plus grand chose à raconter, il ahoote ses souvenirs de Wolf. En B, il devient littéralement calamiteux. Il se prend pour Nick Cave («If I Knew»), pour Nico («Then We All Gonna Die»), pour Joujouka («Looking Right Through») et pour Kurt Weill (le dernier titre en allemand).

    Signé : Cazengler, Munster

    Monsters. Supersonic Records. Paris XIIe. 25 mars 2025

    Monsters. M. Voodoo Rhythm 2017

    Reverend Beat-Man & The New Wave. Blues Trash. Voodoo Rhythm 2018

    Monsters. You’re Class I’m Trash. Voodoo Rhythm 2021

     

     

    L’avenir du rock

     - Arty Artifact

             L’avenir du rock adore participer aux jeux télévisés. Il choisit de préférence les plus cons, comme par exemple le Jeu des Mille Arti.

             — Avenir du rock, comment nomme-t-on dans les milieux autorisés les chœurs des New York Dolls ? Vous avez dix secondes...

             Tic tac tic tac...

             — Les chœurs d’artichauts !

             Le public rassemblé dans le studio applaudit.

             — Avenir du rock, comment surnomme-t-on chez les experts en la matière le ramdam de Motörhead ? Vous avez dix secondes...

             Tic tac tic tac...

             — L’artillerie lourde !

             Ovation !

             — Avenir du rock, voulez-vous tenter le banco ?

             — Banco !

             — Voici donc la question du banco : comment qualifie-t-on à l’Académie Française les windmills de Pete Townshend ?

             Tic tac tic tac...

             — On dit qu’il articule ses clavicules !

             Nouvelle ovation !

             — Avenir du rock, voulez-vous tenter le super-banco ?

             — Super-banco !

             — Voici donc la question du super-banco : attention vous êtes prêt ? Donnez-moi s’il vous plaît le nom du groupe dont tout le monde aimerait parler, et qui, en attendant, mousse comme un crabe dans les ténèbres de l’underground ?

             Tic tac tic tac...

             — The Foam Artifact !

     

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             Sidérant ! Alors attention, ce n’est pas l’avenir du rock qui est sidérant. C’est The Foam Artifact, un power trio psychédélique basé à Rouen.

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             Dans les haut-parleurs, une voix suave annonce la début du concert et invite les voyageurs à se présenter au point d’embarquement. Plutôt que de monter à bord d’un aeroplane, comme dirait Alex Chilton, tu descends à la cave. Plutôt que d’être accueilli par une hôtesse sexy, t’es cueilli au menton par une belle fricassée d’accords de clairette. Ça n’a l’air de rien, dit comme ça, mais tu sens aussitôt le petit truc qui fait la différence. Ça sent bon le bingo. Dès les premières mesures. Ils sont trois et s’appellent The Foam Artifact. Il n’existe rien de plus psychédélique que ce nom. Ça mousse déjà dans ta pauvre cervelle. Ces trois petits mecs jouent comme des diables échappés d’une boîte de Pandore qui aurait appartenu à Syd Barrett. Et ça mousse !

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    Ça n’en finit plus de mousser ! Ils ont récupéré toutes les dynamiques du Grand Œuvre barrettien, mais ils les recyclent à leur façon, avec une niaque de punch qui en dit long sur la taille de leurs racines. Tu apprendras un peu plus tard que ces démons d’Artifact sont trois frères, les frères Lebois. Au beurre t’as Arthur, qui bat sec et net et sans bavure. Celui qui gratte ses poux là-bas s’appelle Benjamin, il passe parfois des solos approximatifs, mais il reste délicieusement bon esprit. Et puis t’as Martin le bassmatiqueur de choc, la colonne infernale du trio, le grand ravageur des Vendées, l’avaleur de sabre/cracheur de feu, l’ahurissant voltigeur du roi,

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    l’implacable pétaudière-man, le bass-killer d’ultra-choc, le petit prince de l’overdrive, l’explorateur du full-blown circonstanciel, l’artisan du psych-drenched psychosis, mais un psych-drenched psychosis comme tu n’en vois plus beaucoup, et il relance en permanence, il vit sa psychosis de tout son corps, il marque les temps forts en grimaçant comme un guerrier barbare qui viendrait tout juste de planter sa hache dans le crâne d’un moine, il n’en finit plus de labourer l’overdrive, de viruler à coups de slabs de psych-rock energy, il tape dans un registre tellement haut de gamme qu’on est obligé de penser à Jack Bruce, il développe un easy-going volubile avec des combinaisons de gammes atomisées, t’as vraiment l’impression que le cosmos tourne autour de lui, il est le point central du maelström, il dégage à lui seul plus d’énergie de psych-out so far out que tous les groupes connus dans ta philosophie, Horatio.

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             Et plus les Foam avancent dans leur set, plus le niveau d’énergie monte. Ça monte comme la marée. Avec le temps et l’expérience, tu finis par te focaliser sur le point central des groupes. Ici, c’est Martin Lebois, un autre soir ce sera Rudolf De Borst dans les Datsuns, et le soir d’après, ce sera Michel Basly dans les Cowboys. Quand tu tombes sur des artistes de cette qualité, tu ne les perds plus de vue un seul instant. Une heure, ça passe très vite, alors, tu rentres dans les détails. Disons un détail par seconde. Et tu ressors de l’atanor avec 60 détails en or greffés à ta cervelle. Tu ne te nourris plus que de détails. Tu laisses les généralités aux autres.

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             Coup de pot, les Foam ont enregistré un album. Pas de label. Pas de titre. L’album s’appelle The Foam Artifact. Que de la musique. Informations minimales mais musique maximale. Et tu retrouves dès «Jinx» cette belle dynamique montée sur le dos du bassmatic et ils basculent aussi sec dans le so far-out, avec un thème bien syncopé. Les poux se barrent dans le passé et notre héros du jour, Martin Bass Balam claque un hard drive bien domestiqué. Par contre, ils tapent à la suite un «Gelatin» plus poppy popette, avec un son de gratte quasi Taxi Girl, aïe aïe aïe. Heureusement que Martin Bass Balam joue à rebrousse poil. Et ça repart de plus belle avec «Scream Of The Church» et cette basse qui dévore la laine sur le dos du cut, cette basse qui gronde et qui double dans les virages, cette basse qui danse avec les loops et qui circonvule en continu, cette basse qui sort du cut et qui revient aussitôt, cette basse qui hoquette en quinconce et qui percole au pont d’Arcole, cette basse qui ergote dans le gaz, ce mec joue carrément la carte du tentaculaire linéaire, il est incroyablement fertile, il est à lui seul une vraie force motrice. Au fil des cuts, ils deviennent de plus en plus anglais. Ils tapent un rock extrêmement sophistiqué mais ça tient la route car les dynamiques sont implacables. Tu vois rarement des encorbellements aussi développés. Quelle clameur ! En B, ils restent dans cette esthétique du rock psyché suspendu au plafond, ils jouent envers et contre tout. «The Vault» restera dans les annales pour son attaque de laboureur envenimé et pour son architecture échevelée, oh bien sûr, une architecture n’a jamais eu de cheveux, mais c’est une image qui permet d’illustrer l’audace. C’est important, l’audace.

    Signé : Cazengler, Foamage

    The Foam Artifact. Le Trois Pièces. Rouen (76). 31 mars 2025

    Concert Braincrushing.

    The Foam Artifact. The Foam Artifact. Not On Label 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Kramer tune

    (Part Four)

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             À peine enterré, Wayne Kramer refait surface un peu partout, chez les libraires, chez les disquaires et dans les kiosques à journaux. Ça fait plaisir de voir un héros revenir d’entre les morts. Oh yeah ! Kick out the tombs, motherfucker !

             Ton kiosquier va t’attraper par le collet pour te coller le museau sur trois de ses canards : Uncut, qui publie un vaste extrait de MC5: An Oral Biography Of Rock’s Most Revolutionary Band,  puis Vive Le Rock qui publie une fantastique interview de Don Was, et puis Mojo qui chronique l’album posthume de Brother Wayne, Heavy Lifting.

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             Les plus palpitant des trois est bien sûr l’interview de Don Was. Hommage direct à Brother Wayne, illustré sur la double d’ouverture par un portait plein pot de Brother Wayne avec les yeux fermés, souriant, les deux mains croisées sous le menton, comme s’il était en paix. Un héros en paix. Fantastique image ! Duncan Seaman salue la parution d’Heavy Lifting, le nouvel album du MC5 et signale au passage que Don Was, un vieux poto de Brother Wayne, y joue de la basse. Eh oui, qui dit Detroit dit Don Was, un Don Was qui se souvient de 1965, quand il était ado : «I saw them open for the Dave Clark 5 at the basketball arena in Detroit when they were wearing suits, they were the Motor City 5.» Il les a vus tellement de fois au Grande and around Detroit qu’il ne se souvient plus du décompte. Comme John Sinclair, Don Was est fan de Coltrane, mais il voyait un «crossover with what MC5 were trying to bring to rock.» Don Was est vite fasciné par le MC5 qu’il voit jammer avec des members of Pharoah Sanders’ band. Et il te sort ça, sans ciller : «Ce dont je me souviens de ce soir-là, c’est que je n’avais encore jamais entendu un truc pareil, et aujourd’hui, c’est-à-dire 50 ans plus tard, je n’ai encore jamais revu un truc pareil.» Don Was estime que le MC5 sortait un son qu’on ne pouvait cataloguer et qui défiait toute forme de genre, de formule ou de mode - That was the noblest thing you could do as a musician - C’est Don Was qui parle et ce qu’il dit n’est pas de la gnognote. Il insiste aussi pour rappeler que Mitch Ryder fut le premier blanc à sonner comme un black Soul singer et que Jack Scott fut en son temps the epitome of rock’n’roll, «and that’s kind of the essence of Detroit music and MC5 is the same thing.» Don Was rappelle ensuite qu’il a joué de la basse sur la tournée MC50. Brother Wayne lui a filé une bande avec les pistes de Michael Davis et Don Was s’est ingénié à les jouer note pour note. Il a découvert que Michael Davis et Dennis Thompson groovaient, avec des R’n’B syncopations, et il explique que les Stooges, c’était encore pire - They were like a primitive version of James Brown’s band - Après la fin du MC5, Brother Wayne a tenté de maintenir l’«ethos of the MC5 alive, and I think he spent a lifetime trying to do that. He walked the walked till he died, unflinching.»

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    Don Was

             Puis Don entre plus dans le détail de ce qui nous intéresse : la nature humaine. Voici un tout petit extrait de son éloge de Brother Wayne  : «He was one of my better friends in life. His soul was true. He was an honest cat.» Il ajoute plus loin : «I loved playing with him because he was a soulful cat and he had a deeply rhythmic pocket.»        

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             Uncut propose un vaste extrait de l’Oral Biography, donc tu lis pas l’article, autant lire le book. Dans un encadré, Rob Tyner raconte comment Jimi Hendrix lui a sauvé la mise. Eh oui, Rob flippait à cause de son afro et quand il a vu arriver la pochette d’Are You Experienced, tout est rentré dans l’ordre : son afro est devenu extrêmement cool. Tout le monde le félicitait, alors Rob a pu devenir Rob - The MC5’s music was symbolic of my freedom - Et plus loin, t’as Bob Ezrin qui revient sur Heavy Lifting, «the first new album to bear the band’s name since 1971’s High Time.» Brother Wayne et Brad Brooks avaient commencé à composer des cuts, en réaction au «shocking murder of George Floyd». En 2021, ils avaient 15 cuts «about what was going on in the world». Et Brad de préciser : «‘Barbarians At The Gate’ was about the insurrection, ‘Heavy Lifting’ was about a desperate man forced into crime and ‘Change Not Change’ is about the homeless situation in Oakland.» Ils enregistrent les démos avec Brad Brooks au chant, Don Was on bass et Abe Laboriel Jr on drums - And Wayne was raging on guitar - En 2023, l’album est prêt, et Brother Wayne entend «the final mixes».

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             Andrew Perry ne file que 3 étoiles à l’Heavy Lifting. N’importe quoi ! Et ça continue de tremper dans le grand n’importe quoi quand Perry rappelle que Bob Ezrin est connu pour avoir produit le Wall de Pink Floyd, le Destroyer de Kiss et tous les mauvais albums d’Alice Cooper, des albums que le Perry ose qualifier de ‘70s classics. Ah tu parles de classics ! Alors qu’il est là pour évoquer le MC5 ! L’autre problème de l’Heavy Lifting, ce sont les invités : Tom Morello, et pire encore, Slash. Don Was joue quasiment sur tous les cuts et Dennis Machine Gun Thompson bat le beurre sur deux d’entre eux.

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             Ton disquaire vient justement de le recevoir, l’Heavy Lifting. Il ne t’en parle pas, il se contente de pencher le buste en arrière et de mimer Brother Wayne en train de passer l’un de ces ultra-killer solos flash dont il avait le secret. Tu vas en entendre des killer kill kill sur l’Heavy Lifting, dans «Black Boots», par exemple, ça joue au plein-comme-un-œuf, Brother Wayne charge sa barcasse comme il l’a fait toute sa vie. Il en passe un autre dans «Barbarians At The Gate», le cut n’est pas jojo, mais le killer kill kill l’est. C’est William Duvall qui chante «The Edge Of The Switchblade». Ça décolle et ils duettent comme des démons. Et voici enfin un cut digne du Five : «Twenty Five Miles». Brother Wayne sait conduire une charge. Il contrebalance l’interspace du cut, c’est de très haut niveau. 50 ans après l’âge d’or, il sait encore claquer un heavy Detroit rock, il a des cuivres et il arrose tout ça de napalm d’or, comme dirait Yves Adrien. Nous voilà de retour dans l’esprit de la vieille fournaise, walk on ! C’est d’une rare puissance. Brother Wayne ramène la Stonesy d’«I Hear You Knocking» dans «Boys Who Play With Matches» et quand il part en killer kill kill, il se joue dessus. Machine Gun Thompson bat le beurre sur «Blind Eye», et il bat comme si sa pauvre vieille vie en dépendait. Encore du brillant wild Detroit rock avec «Can’t Be Found» et Brother Wayne part en killer kill kill de régurgitation d’une violence inégalée, t’as les poux des démons qui se croisent dans la fournaise et tu retrouves le spirit du Five au max de ses possibilités. Arf, tes mots s’épuisent à suivre tout ce bordel. Cet album boudé par la presse anglaise se termine avec «Hit It Hard», un funky boot sur lequel le bassmatic de Don Was fait la pluie et le beau temps. Alors attention, il y a un deuxième disk : un live du MC50, enregistré à Hambourg et à Seattle en 2018, avec Marcus Durant qui fait son cirque sur «Ramblin’ Rose», puis ça passe au Kick - Right now it’s time to ? - «Kick Out The Jams» ! Le hit absolu, motherfucker. Le beat n’a jamais été aussi épais. S’ensuit un «Come Together» qui repart à l’aventure. Quel power ! Brother Wayne in on fire. Il n’existe rien d’aussi explosif en Amérique. Sur «Motor City Is Burning», Marcus Durant fait de son mieux. Il s’implique sérieusement. Ici, tout est chauffé à blanc. Oh la violence de l’attaque dans «Gotta Keep Movin’» ! Encore en plein Five et le Marcus est bon sur ce coup-là. Marc Arm prend le chant sur «Future/Now». C’est comme d’ajouter du feu au feu, fire on fire, Marc Arm + Five = Boom ! C’est d’une puissance extravagante. Ils tapent aussi un «Shakin’ Street» tiré du deuxième album. Ça ne rate pas le coche, puis «Sister Anne», orchestré par un démon nommé Brother Wayne. C’est une délectation que d’entendre Brother Wayne gratter ses vieux poux, ça fait du bien d’entendre ça une dernière fois, surtout quand il fait sa pirouette d’absolute virtuoso.

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             Ton libraire va sauter sur son comptoir, et sur l’air de «Ramblin’ Rose», il va te vanter les mérites de MC5: An Oral Biography Of Rock’s Most Revolutionary Band. Bon tu vas lui dire que tu connais l’histoire par cœur, mais comme c’est une Oral History, tu te dis que l’angle change et que ça va kicker les jams dans ta vieille cervelle de névropathe. Et c’est exactement ce qui se passe.

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             Deux personnages volent le show dans le book : Rob Tyner et John Sinclair. Tu vois mieux la raison pour laquelle le MC5 était un groupe révolutionnaire : Sinclair et Tyner sont deux esprits révolutionnaires. Au même titre que Brother Wayne. Au même titre que Fred Sonic Smith (qui n’apparaît pas dans les interviews). Au même titre que Dennis Thompson. Tous ces gens sont passionnants. On est presque obligé de les prendre un par un.

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             Dans l’intro, l’accent est mis sur Rob Tyner qui grâce à ses «eccentricities and contrarian spirit» a permis de transformer le «small-time cover band the Bounty Hunters en MC5, a world-class unit qui allait rivaliser avec des gens comme Janis Joplin, Jimi Hendrix et les Doors.» À tout ça, il faut ajouter l’influence de James Brown et l’«exploratory spirit des jazzmen d’avant-garde» comme John Coltrane et Sun Ra, «that provided the inspiration that made the MC5 truly unique». Brother Wayne sait aussi qu’il existe une grande différence entre la musique des noirs et celle des blancs : «The Black music had more drive. That’s how we wanted to play.» Et il ajoute : «Once we found this great rhythm section, we started working on this concept of drive - The music had to have this forward power.»  

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             Tyner raconte son premier contact avec le groupe : Brother Wayne guitare, Fred basse et Leo beurre. Comme Fred veut jouer de la gatte, Tyner prend la basse. Puis il est viré. Mais Fred insiste pour qu’il revienne dans le groupe, car il adore sa nuttiness - A guy with a lot of crazy ideas and shit - Alors Tyner revient, mais comme lead singer. Comme Rob a des idées, on lui demande  ensuite s’il a des idées de nom pour le groupe. Oui, il en a deux - One was the Men. I liked that because it was very macho. The other one was the MC5. Wayne didn’t like the Men at all, so MC5 it was. He asked, «What’s it stand for?» and I said, «The Motor City 5, I guess.» - On voit tout de suite le niveau de Rob Tyner. Comme il est fasciné par McCoy Tyner, le pianiste de John Coltrane, il se baptise Rob Tyner. Il indique aussi que Brother Wayne est devenu Kramer en hommage au pianiste de blues Floyd Kramer. Rob aime bien les Anglais, mais pas les plus connus, il dit sa préférence pour les plus obscurs, comme les Troggs, ou encore les Pretty Things. Il dit aux autres : «Look at these guys. They play weird music and have hit records. Let’s be more like that.» Rob reconnaît aussi le power de Motown qui entre en conflit avec la British Invasion, «which was all lily-white». Alors le MC5 choisit la manière forte pour s’imposer : ils s’habillent en noir et jouent très fort - And then when we hit those first couple of chords and it was so fucking loud, it really grabbed people’s attention - On appelle ça la naissance d’une nation. Celle du MC5. Ils jouent en première partie du Dave Clark 5 - The DC5 meets the MC5 - Pour Rob, c’est l’apothéose. Mais comme Rob est un peu gras, ça pose un problème d’image. Et puis, il est un peu vieux : 20 ans - The band was like, ‘You’re over the hill, you’re too old.’ I was old at twenty! - Il craint en plus de perdre ses cheveux, comme l’a fait son père très jeune. Michael Davis ajoute que Rob n’avait pas la stature d’une rock star - He wasn’t skinny. He wasn’t pretty. He just had all this shit going against him. But what he did have was drive - Eh oui, Rob veut chanter dans un groupe de rock et rien ne va l’en empêcher. Ils composent «Looking At You» ensemble, Rob parle d’une «spontaneous composition» et d’une ambiance qui lui a permis de «créer et de chanter les paroles on the spot like a jazz player.» Quand le groupe recrute Dennis Thompson, Rob est content, car il le sent capable de «real wildness» - I really liked Dennis, but he was weird - Il lui trouve une «college mentality», il le trouve aussi «very mathematical», mais c’est ce qui l’intéresse le plus, car Rob pense que les «mathematical concepts had potential in our ‘avant-rock’.» Il reste persuadé que de mettre un crazy drummer avec un agressive guitar player, «you can do something with that.» Rob fait aussi le portrait de Fred Sonic Smith : «He had this stoic thing: never show emotion and never show pain. He never liked school or working, but he did have a deep affinity for the guitar, and that was engouh. That’s enough for a person.» Magnifique portrait.

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             La copine de Brother Wayne qui s’appelle Chris Hovnanian brosse elle aussi un joli portrait du groupe : «Wayne looked goofy, Rob was overweight, and Fred was sort of ugly like a Rolling Stone. Michael was handsome.» Elle ajoute que tout le monde a peur de Fred qui ne dit jamais rien.  

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             C’est Rob qui a l’idée d’enregistrer des versions live de leurs covers : «We Gotta Get Out Of This Place», «Gloria» et compagnie. Mais «those little rats» de Shadows Of Knight leur ont brûlé la politesse, alors Rob propose un autre cut de Van the Man, «I Can Only Give You Everything».

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             Le groupe décolle et fait route avec l’activisme de John Sinclair. Rob rappelle qu’à l’époque le blé n’était pas très important, Ils étaient dans un trip de partage, «this heavy anti-materialism thing» qui bien sûr est passé de mode. Rob : «Travel light, live fast, die young, all that stuff, and don’t bother about this money jazz.» Autre notion fondamentale chez Rob : le drive. Il voit Big Brother et il trouve qu’ils n’ont pas de rhythm section - There was no drive - C’est la différence avec la Detroit music qui a un «drive underneath it». D’ailleurs, quand le MC5 vient jouer à San Francisco, Rob sent bien que les gens ne les apprécient pas - They were not gonna get the Detroit groove - Il aborde aussi la question du cul. Il est le seul à être marié dans le groupe, alors les groupies, ça ne l’intéresse pas - I was in it for the art - Alors que les autres sont dans le groupe pour le sex & drugs & rock’n’roll.

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             Rob revient aussi sur la Convention Démocrate de Chicago. Norman Mailer qui assiste au concert qualifie le MC5 d’«electro-mechanical climax of the age», ce qui fait bien marrer Rob car il fut électrocuté sur scène ce jour-là. Son point de vue sur le White Panther Party vaut tout l’Or du Rhin : au début, il les trouve poilants - I just thought they were hysterically funny - parce que le Party nomme des ministres, Steve The Hawk Harnadek est nommé Minister of Fucking in the Streets. C’est parce qu’il les trouve funny and not being too heavy qu’il adhère, «and I was all for it.»

             Et puis il y a Detroit. No Summer of Love in Detroit, Brother Wayne parle plutôt d’un Summer of Fear and Paranoia. Et puis les émeutes, et puis les cops. On frappe à la porte de John Sinclair, il ouvre et se retrouve avec un flingue «pointed right in my face.» What the fuck ?

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             Là- dedans se coule le tombeur de ces dames, Michael Davis, dont on a ausculté l’autobio (I Brought Down The MC5) ici même en 2019. Brother Wayne décrit le beau Michael ainsi : «He was a beatnick, he liked downtown, he was an artist, a hipster, he smoked reefer.» Chris Hovnanian rappelle qu’il avait de la gueule, he looked great. Et elle trouve ça dur que le MC5 l’ait embauché uniquement parce qu’il était incredibly handsome. Michael Davis était un peintre et c’est Brother Wayne qui l’a convaincu de jouer de la basse. Ce que confirme Davis : «Yes I was the ladies’ man.» Il en profite pour présenter les autres : «Fred was the quiet tough guy. The Charles Bronson of the band. Wayne was the show-off - the guy that was always in your face (...) Rob was our beacon of enlightment and Dennis was like a little caveman. He was Bamm-Bamm.» Davis voit le groupe comme «five individuals contributing to a whole kind of art piece. It wasn’t just the music - it was the look, it was the attitude, it was the words, it was the clothes, it was the performance, it was kind of eberything. So, I looked at the thing like a huge painting, like working on a living sculpture. The MC5 was never just a rock’n’roll band.» Davis dit plus loin que le MC5 ne respectait pas beaucoup de groupes, à part les Who. Mais globalement, pas d’Américains. Il est encore plus radical lorsqu’il affirme que le MC5 s’est à ses yeux arrêté le soir où ils ont enregistré Kick Out The Jams au Grande Ballroom. Il voyait le MC5 comme un groupe expérimental. Après le 31 octobre 1968, c’est fini, le groupe va devenir prévisible - We knew what we were supposed to sound like - Il ne supporte plus de jouer dans ce groupe, aussi éprouve-t-il un soulagement énorme lorsqu’il quitte le MC5 en févier 1972 - It had been a totally ecstatic experience in the early days, but it became an absolute nightmare.

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             Ce qui intrigue John Sinclair au début, c’est le «street-punk intellectualism» de Rob Tyner, alors il va voir le MC5 en concert, et bien qu’étant un fan de jazz, il apprécie énormément le groupe - I saw they were doing the same sort of things as Coltrane and the other free jazz artists. yeah, they were playing rock and roll, but with more creativity and improvisation - Et crack c’est parti, Sinclair adhère au party. Il rappelle qu’il a grandi avec les pionniers du rock, puis il est passé au jazz - By 1960, rock music was a dead issue to me - Il n’aime pas non plus Motown qui sonne trop bubblegum à ses oreilles. Il ne jure que par Archie Shepp et Cecil Taylor. Et crack, le MC5 ! Il voit Brother Wayne comme le «leader of the band, but Rob was the brain of the outfit» - When they did «Black To Comm», man, that fucking killed me. That was right up my alley - Puis Sinclair va devenir le manager du MC5 - I can take responsability for this - Sinclair se souvient comment le MC5 a écrabouillé Big Brother - We killed Big Brother & The Holding Company - Pour ça, ils disposaient de l’arme fatale, «Black To Comm», «that we used like an atomic bomb at the end of the set.» Sinclair dit aussi que dans le van, en allant au concert, ils écoutaient James Brown Live At The Apollo et le Live At Birdland de John Coltrane - The energy and the power of James Brown. He was the model - Sinclair évoque les Stooges à sa façon - The Stooges. Ce n’était pas un nom choisi au hasard. The concept of the stooge was he disdn’t care. Ils ont créé un wall of sound et Iggy dansait devant. C’était le concept, and it worked. When you’d see the fucking Stooges, it was incredible. Jaw-droppin. It was funny. Blood Sweat & Tears avaient entendu parler du MC5 et ne voulaient pas d’eux en première partie. Mais on leur a baisé la gueule en mettant les Stooges en première partie - En réalité, John Sinclair ne les supporte pas : «These Stooges assholes, they’re just lunatic fringe.» Les Stooges en ont autant à son service : ils trouvent le White Panther Party «humourous and sorta stupid.»

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             Sinclair rappelle aussi qu’avant le MC5, les Rationals et Bob Seger avaient déjà enregistré des disks - Great records, in my estimation - Quand il voit débarquer Danny Fields, il ne le perçoit pas comme un «money-grabbing record industry guy», il lui trouve de la classe «and certainly artistic integrity. Unusual indeed.»

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             Ce que raconte Danny Fields dans ce book est passionnant. Il dit venir d’une scène cool, «the Andy Warhol crowd, and I loved the Velvet Underground, and we were very cool. Sinclair was the opposite of cool. He was high-energy and an imposing figure. He was a magnificent specimen of power poetry.» Et plus loin il ajoute : «I just thought he was a great guy.» Il découvre ensuite le MC5 sur scène, «but their music didn’t change my life. Kramer must’ve suspectd that, because the Stooges did change my life.» Il trouve les Stooges plus modernes - The MC5 were full of energy and the songs were catchy. More traditional. The Stooges, on the other hand, were on the edge of the cliff of modern musical taste. To me that was art - Quand il appelle Jac Holzman pour lui vendre les deux groupes, il dit au téléphone : «I’ve just seen two bands that changed my life.» Jac demande pour combien on peut les avoir et Danny Fields fixe les prix :  20 000 $ pour le MC5 qui commence à être connu, et 5 000 pour les Stooges qui ne sont pas encore connus. Jac lui dit : «Do it.»

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             John Sinclair n’aime pas Jon Laudau, le mec qui va reprendre le MC5 en main pour Back In The USA et couper les liens avec le White Panther Party, et donc Sinclair - Landau couldn’t accept who they were. He wanted them to sound like Booker T. & The MGs, which was absurd - Landau avait produit Brouce Springsteen, et ils allaient bien ensemble ces deux-là «because Springsteen doesn’t sound anything like rock ‘n’roll.» Et crack ! C’est tellement vrai. Et Sinclair en remet une couche : «When he (Landau) finished with them, they didn’t sound like the MC5. They sounded  like the Monkees.» Et crack ! Comme Zola avant lui, Sinclair accuse : «Il a brisé la confiance qu’ils avaient en eux et d’une certaine façon, il a favorisé leur auto-destruction, parce qu’il a réussi à détruire leur identité. Il avait aussi réussi à les convaincre de couper les liens avec les White Panthers.» C’est vrai que Landau a complètement reformaté le groupe. On a eu du mal à l’époque à passer de Kick Out The Jams à Back In The USA. Ce n’est plus tout à fait le même groupe. Avec Back In The USA, on a perdu la sauvagerie du Live.

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             Rob voit Back In The USA comme un «bizarre New Wave album six years ahead of its time.» Cheveux plus courts, cuts plus courts - Everything was compact. Really clean and right to the point - Il parle aussi de discipline et surtout d’un «return to the basics», c’est-à-dire le groupe qu’ils étaient au début.

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             Sinclair en veut aussi beaucoup à Lester Bangs qui, dans une chronique de débutant pour Rolling Stone, avait massacré Kick Out The Jams. Des années plus tard, Bangs s’est excusé auprès de Sinclair, en lui disant que Kick Out The Jams était devenu son album favori, mais le mal était fait. Sinclair : «That fucking asshole! Couldn’t he see? He ruined their whole career! He killed this music that became his favorite. It was his fault that we hired Landau. Et c’est à cause de Laudau qu’ils se sont rabougris. They voluntary surrended their power.» Eh oui, il a raison Sinclair : le MC5 a rendu les armes.

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             Brother Wayne intervient toujours à bon escient dans cette Oral History. Voilà comment il règle le compte de Cream  : «On a eu une petite confrontation avec Cream. Ils sont arrivés et ont joué ces solos interminables. Ils improvisaient pendant des heures. À l’époque, j’écoutais John Coltrane improviser. Il peut improviser pendant vingt minutes et continuer de capter votre attention. Je suis désolé, mais Eric Clapton est incapable d’improviser pendant vingt minutes et continuer de capter votre attention. On s’ennuyait. Et ça me foutait en rogne parce que je voyais que le public appréciait. I thought, This is bullshit» Que fait-on dans ces cas-là : on lui serre la pogne. Merci Brother Wayne de dire les choses comme elles doivent être dites. Clapton ? Boring.

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             Brother Wayne se souvient aussi qu’avant d’embaucher Rob, il envisageait s’embaucher this kid Bob Seger - I know he could do the job - Il songeait aussi à Scott Morgan, «somebody that’s a good singer that looks good, and we’ll do the rest.» Et puis c’est Fred qui penche pour Rob. Brother Wayne se souvient aussi de sa première rencontre avec Mick Farren, qui supervisait le Phun City festival, dans le sud de l’Angleterre. Farren voulait le MC5 à l’affiche, alors ils sont venus. Brother Wayne va trouver Farren pour causer du cachet - I wanted to get paid before we played. He said, «Money? Uh... There is no money.» I said, «We’re four thousand miles from home and you tell me there insn’t any money?» He said, «No, no money. It’s a free festival.» - Ça ressemble à la rencontre de deux titans.

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             Ron Asheton fait pas mal d’apparitions dans le book. Il se souvient de son premier contact avec le MC5 au Grande Ballroom : à l’époque, il jouait de la basse dans les Chosen Few. Il ajoute plus loin que les Stooges ont pu exister grâce au MC5. Ils avaient en commun le même mépris pour les groupes célèbres. Et le même respect pour les Who - I’d seen the Who at the Cavern Club en 1965, and for me, the MC5 were the first musicians that carried that kind of attitude locally. They were cultivating a whole new situation - Ron qui a oublié d’être con, se dit surpris d’avoir, avec les Stooges, duré plus longtemps que le MC5, surtout avec «the limited talents that we had at those times. They really burned out fast.» Puis quand il les voit engager le bras de fer avec le business, il sait qu’ils sont foutus - They really were street guys, and that’s why they died the way they did. They were the real essence of Detroit - Ron admirait surtout Rob. Il le voyait comme le fils spirituel de John Sinclair - Kramer et Thompson s’engueulaient tout le temps. Ils se criaient dessus - Et ça qui résume tellement bien le contexte : «You get the combination of Fred Smith, Dennis Thompson and Wayne Kramer together, and it was like fucking mixing nitroglycerin. They were roughhousing guys, lots of punches... and arguments all the time.» Ron voit aussi que le MC5 se moque de Rob, mais il l’aime bien, car ils sont tous les deux pareils, des outcasts. Ron admire aussi le MC5 pour leur goût des excès, «alcohol or anything. Drugs. And fighting». Alors que dans les Stooges, «we never, ever came to blows. But those guys would just wreak havoc.» Ron les voit aussi s’adonner aux joies du «rocket reducer», «which is basically sniffing glue.» Il assiste ensuite à la transformation du groupe, entre le premier et le deuxième album - The MC5 really started to become a caricature of themselves - Il voit Dennis Thompson battre si vite que personne dans le groupe ne pouvait le suivre, «and then Michael Davis started getting high and that’s when it really started coming apart.» Il n’empêche qu’aux yeux de Ron, Dennis Thompson «is the greatest drummer in rock’n’roll.» Il voit aussi les ravages qu’occasionne Landau dans le groupe. Il les entraîne comme une équipe de foot, a sports team. Il les oblige à manger des steaks et de la salade - Then he took them in the studio and just sterilized them - Ron est le plus féroce avec Landau - All Landau did was take everything out of it. Not like I dislike the album (Back In The USA), but it’s not something that I put on either. I can tell you that the Stooges were all very disappointed  with that record.

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             On croit connaître l’histoire du MC5 par cœur. Mais non. Qui se souvient de ce que disait Norman Mailer du MC5 ? Mailer décrivait leur son comme «the sound of mountains crashing... an electric crescendo screaming as if at the electro-mechanical climax of the age.» C’est Mailer qui attire l’attention sur le MC5. Leni Sinclair qui est la femme de John rappelle aussi un truc capital : chaque fois que son mec John était arrêté par les flics, il devenait plus radical, ce qui terrorisait le groupe - The band were not political revolutionaries. Cultural revolutionaries, yes - Retour aussi sur l’incroyable connerie de Lester Bangs qui dans Rolling Stone, osa dire que les «bozos» du MC5 ne savaient pas jouer, et qu’ils ne valaient pas mieux «que ces groupes amateurs, les Seeds  et Question Mark & The Mysterians.» Ces insultes datent de 1969. Jamais pu encadrer cette buse de Bangs. Cet article combiné à la page de pub payée par Sinclair (Fuck Hudson’s) a failli couler le MC5, un groupe génial qui prenait son envol. Elektra les a virés. Pas grave, Atlantic va les récupérer.

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    ( Fred Sonis Smith )

             Puis ils entrent en guerre avec Bill Graham à cause de ce concert pourri au Fillmore East.  En plus, on ne les supporte pas sur la Côte Ouest. Pire encore à Seattle, où on les hait. Sinclair : «They really hated us in Seattle. I’ll tell ya. That’s the one I remember the most vividly. We opened for Jethro Tull, the worst band in the world. Oh, they just hated us!». Dennis Thomson raconte qu’au breakfast, Ian Anderson et Fred Smith avaient un «philosophical debate about music, and Ian called Fred a stupid fucking bloody colonialist.» Alors Fred a attrapé son verre de jus d’orange et l’a balancé dans la gueule d’Anderson. Brother Wayne se souvient aussi d’avoir rencontré Anderson - I thought the guy was about as intelligent as a mailbox.

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             C’est Jerry Wexler qui signe le MC5 sur Atlantic, sur la recommandation du rock critic Jon Landau qui à l’époque bosse pour Rolling Stone. Impressionné par leur revolutionary spirit, Wex les signe pour 50 000 $ - it seemed to good to be true - Mais à l’époque, le groupe finançait la communauté de John Sinclair, le White Panther Party, 37 personnes vivant dans le «three-story Ann Arbor hippie complex.» Le groupe profite de cette avalanche de blé pour quitter Ann Arbor et s’installer dans une baraque à Hamburg, Michigan, à 100 bornes d’Ann Arbor. Loin du White Panther Party et de tous ses parasites.

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             Et c’est là à Hamburg qu’entre en scène celui que Dennis Thompson appelle «the Hitler who came in and reduced the powerful MC5 into a goddam wedding band. I called him a facist dictator.» Eh oui, avec l’arrivée de Landau, le MC5 va perdre ce qui faisait sa spécificité : l’énergie insurrectionnelle. Landau commence à faire le ménage dans le groupe. Il trouve que Michael Davis ne sait pas jouer. Il demande à Brother Wayne de jouer les lignes de basse. Thompson est furieux : «Back In The USA exemplified everything we weren’t because it was trying to be so perfect.» Et il enfonce son clou : «We sacrified power to perfection.» Fred n’aime pas non plus la façon dont l’album se fait, mais il ne dit rien. Laudau a pris le pouvoir. Tout le monde ferme sa gueule. Fred fait tout de même savoir à Hitler qu’il n’est pas question de virer Michael Davis. Pour Dennis Thompson, cet album est la fin des haricots - That was the death of the MC5, as far as I’m concerned - L’enregistrement de l’album se passe mal. Brother Wayne est le seul à prendre la défense d’Hitler. Hitler a mis tout le groupe au régime sec. No alcohol. No LSD. Il leur fait bouffer des yaourts. Il les oblige à faire du jogging. Il dit à Rob qu’il doit prendre des leçons de chant. À Rob ! Il dit à Michael : «Michael you’re not good enough to play.» Voilà le travail ! Dennis Thompson revient à la charge : «If you don’t have Michael Davis playing bass, you don’t have the MC5 anymore. You were selling everybody a lie. You had the MC4.» Il est bien le petit Dennis. C’est lui qui dit les choses comme il faut les dire. In the face. L’histoire du MC5 est une tragédie. Après Bangs, Landau les a complètement bousillés.

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    Ronan O’Rahilly va essayer de les sauver en les faisant venir en Europe. Mais le groupe est alors entré en zone d’auto-destruction. Ils engagent Dee Anthony comme manager, mais ça ne marche pas. Anthony leur fait un procès et garde tout leur blé. Fred commence à composer. «Shakin’ Street» et Tonight», c’est lui. Ils se mettent à bosser sur High Time, le troisième album. Le producteur d’appelle Geoffrey Haslam, un mec qui a bossé avec le Velvet. L’ambiance est de retour.  Le power aussi. Dennis Thompson est ravi - Another album and we would’ve been killing it - Mais Atlantic les vire. Brother Wayne appelle ça the final blow - No record company, no manager, and no Jon Landau or Danny Fields to support us - Ronan O’Rahilly les fait venir en Angleterre pour le Phun City festival de 1970. Brother Wayne ajoute que Fred adore O’Rahilly. C’est là que débarque l’hero - Hell we were the MC5, and we could conqueer any drug. But smack was stronger than any person - Comme tout le monde, Dennis commence avec les «penny caps» puis il finit avec les «little red gel caps» - Before anyone knew it, the bad, the belligerent, and dangerous MC5 were reduced to becoming a bunch of damn junkies. It stopped us cold and cooked everyone’s nuts - Dennis ajoute que Fred et Wayne avaient aussi le même problème. Pour eux, l’hero est le seul moyen de balayer les angoisses - If you didn’t want to look at all the pains, heroin washed it away. We were all tired of the pain.

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             O’Rahilly réussit à leur aménager un contrat avec Philips Records en Hollande, mais le label veut voir le groupe sur scène. Ils sont sous Quaaludes quand ils montent sur scène, et c’est une catastrophe. Rob réussir l’exploit de se casser la gueule en voulant sauter sur une plate-forme. Fin du contrat. Brother Wayne dit aussi que Michael se faisait plus de blé en dealant de la dope à Detroit qu’en jouant dans le groupe, alors il a commencé à ne plus venir aux concerts. Il a même raté son avion pour l’Angleterre. Lorsqu’il est arrivé, il ne jouait pas très bien, alors il a fallu le virer. Michael est rentré aux États-Unis. Ouf, il n’en pouvait plus du MC5.

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             O’Rahilly leur trouve one baraque en Angleterre et Brother Wayne croit que le groupe peut redémarrer. Mais Dennis n’est plus en état de rien du tout. Il va scorer toutes les nuits. Brother Wayne ne peut rien lui dire, parce qu’il fait la même chose - Even Rob was having issues with his Quaaludes and weirdness - La désintégration du groupe est extrêmement bien décrite. Ce sont des pages qu’il faut lire impérativement. C’est aussi à ce moment-là que le MC5 se retrouve à Wembley pour participer au grand festival de rock’n’roll. En accord avec Ronan, ils décident de re-capturer leur vieille énergie et de se déguiser. Mais sur scène, Rob reçoit une canette de bière en pleine gueule et commet l’erreur de la renvoyer - When he did that, it rained beer cans - Brother Wayne est furieux : «Just the wrong thing to do.» Et de conclure : «The show was a total disaster.» La malédiction du MC5 ! Seule note positive : dans la coulisse, Chucky Chuckah les filme avec sa caméra. Il aime bien le MC5. Il dira même à Wayne qui s’est peint le visage en or qu’il look like «a golden boy».

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    Becky and Rob Tyner

             Dennis finit par annoncer qu’il quitte le groupe. Il a peur de mourir et veut entrer en detox. En plus le groupe ne gagne pas un rond : «There’s no money in it, and nothing is working out. It’s all horrible.» Dans la foulée, Rob fait exactement la même chose : «You know what? I’m not going either.» Quelques jours plus tard, au cours d’un repas, Fred et Brother Wayne tentent de convaincre Rob de repartir en Angleterre où les attend Ronan. Quand Rob dit non, Fred se lève et lui met son poing dans la gueule. Beky Tyner ordonne à Fred de quitter sa maison sur le champ. Elle ajoute que Brother Wayne devenait menaçant : il fréquentait des gangsters on the East Side et comme Rob et elle avait la trouille, alors ils ont dû déménager vite fait.

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             Fred et Brother Wayne débarquent en Europe. Ronan leur a booké un world-class tour de six semaines. Mais il y a un problème : ils n’ont pas de chanteur. Brother Wayne pense à Bob Seger, puis à Scott Morgan. Mais ils ne sont pas disponibles. Tant pis, ils montent sur scène à trois, avec un batteur qu’ils ne connaissent pas. C’est vraiment la fin des haricots. Le public se plaint. Où est Rob Tyner ? Fred et Brother Wayne essayent de chanter les hits du MC5, mais ils n’y arrivent pas. Ils jouent tout en Mi, mais ils n’arrivent à chanter en Mi, comme le faisait Rob. Le MC5 vit ses derniers spasmes. Fred veut appeler le groupe Ascension, en l’honneur de John Coltrane. La mort dans l’âme, la formation originelle du MC5 donne un concert d’adieu au Grande Ballroom. Brother Wayne : «I remember it being so bad that I left in the middle of the set. I went over to Fred and said, «Fred, I can’t do this anymore.» I unplugged and walked out, copped, went home, and got loaded. We were unbelievably bad. Michael was so out of it that the tempos were gone. There was no energy. I remember «Looking At You» just disintegred on us.»  À quoi Dennis ajoute, la mort dans l’âme : «There was a time when we played the Grande and there was 1,500 people butt to butt, and at our last show, there were maybe 300 people. And we sucked.»    

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              Brother Wayne rappelle les three or four things qui ont brisé les reins du MC5 - Premier coup quand Elektra a précipité la sortie de notre premier album. Deuxième coup : lorsqu’on a perdu John Sinclair as a manager. Troisième coup : when we couldn’t get Landau to manage us. The dope. We discovered heroin, and that proved to be our greatest downfall.

    Signé : Cazengler, Kramerde

    MC5. Heavy Lifting. Earmusic 2024

    Brad Tolinski. MC5: An Oral Biography Of Rock’s Most Revolutionary Band.

    Andrew Perry : Five alive! Mojo # 572 - November 2024

    Ready to testify. Uncut # 332 - December 2024

    Duncan Seaman : The heart of rock’n’roll. Vive le Rock # 117 - 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Elle court elle court la Courette

    (Part Two)

             L’avenir du rock sent venir l’embrouille : il aperçoit au loin cet abruti de Livingstone qui descend la dune avec sa barbe, son casque colonial, son short, ses chaussettes en laine et ses grosses pompes de crapahuteur. Ah putain, quelle misère !, se dit l’avenir du rock en approchant de l’intrus.

             — Alors, pomme de terre, vous avez décidé de me gâcher l’errance dans le désert ? Vous n’allez tout de même pas me dire que vous cherchez Stanley ? Vous m’avez déjà fait le coup une fois, alors ça suffit ! Vous me rendriez le plus grand service en fermant votre gueule !

             Choqué par l’agressivité de l’avenir du rock, Livingstone n’ose rien dire. Il observe le détritus qui se tient devant lui. Depuis leur dernière rencontre, l’état de l’avenir du rock s’est considérablement dégradé. Il ressemble désormais à un reliquat de fausse couche. D’énormes cloques lui boursouflent le crâne et ses yeux sont réduits à deux fentes purulentes. Des poils qui ressemblent à des poils de cul lui dévorent la figue desséchée qui lui sert de visage. Un filet de bave finit de sécher au coin du trou qui lui sert de bouche, et ce qui reste de ses fringues ne cache pas grand-chose de son immense détresse physiologique. Le pire est ce vermicelle qui lui pendouille entre les jambes. Ce pauvre hère qui erre semble plus ratatiné qu’une escalope oubliée au fond d’une poêle restée sur le feu. L’avenir du rock ne s’en rend pas compte, mais il offre à ses rares interlocuteurs le spectacle à la fois atroce et grotesque d’une extrême dégradation, et Livingstone n’est pas loin de penser qu’elle est aussi physique que mentale. Putain, quelle misère, pense-t-il. Comme il n’y a plus rien à ajouter, et tous les deux écœurés par l’inutilité de leur rencontre, ils reprennent leur chemin. Quelques mètres plus loin, pris de remords, l’avenir du rock se retourne et lance :

             — À propos de Stanley : Sylvain Tintin m’a dit qu’il l’avait croisé voici quelques mois...

             — Où donc ?

             — Par là...

             — J’y Courette !

     

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             Pendant que l’estime de Livingston remonte dans la cervelle abîmée de l’avenir du rock, les Courettes courent toujours. Leur nouvel album paraît et la presse déroule le tapis rouge. Cette fois, c’est un tapis rouge plus que bien mérité : The Soul Of The Fabulous Courettes est un album en forme de coup de Jarnac spectorien. Allez hop, six pages dans Shindig!. Distance idéale pour sortir des sentiers battus et des clichés habituels. Martin et Flavia Courette ne sont pas n’importe qui. Ils redorent pas mal de blasons avec leurs petits bras et leurs petites jambes.

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             Kate Hodges n’y va pas de main morte : «The hardest working band in garage showbiz.»  Les deux Courettes se sont rencontrés dans un van de tournée au Brésil : lui tournait avec son groupe Columbian Neckties et elle avec le sien The Autoramas. Elle n’était pas ravie à l’idée de passer deux semaines coincée dans le van avec neuf mecs. Puis elle s’aperçoit que Martin a la même collection de disques qu’elle. Alors ça matche. En 2015, elle quitte le Brésil pour s’installer au Danemark. Flavia profite de l’article pour rendre hommage à Totor : «He connects rock’n’roll history. You have his work with the Beatles, George Harrison and John Lennon, Ike & Tina Turner. You have punk-rock with The Ramones. And The Beach Boys, as Brian Wilson was a big fan.» Elle raconte qu’ils sont allés visiter le studio A d’Hitsville USA, à Detroit, et le Stax Museum à Memphis. Au Brésil, Flavia se souvient d’avoir vu Nirvana quand elle avait 11 ans, les Ramones quand elle en avait 13. Elle achetait des CDs d’occase, Beatles and Seeds - so that was my mix: ‘60s, B-rock, a bit of riot grrrl - Et puis ils ont un fils. Elle rappelle qu’ils ne vivent que des tournées. 

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             C’est James Sharples qui les interviewe dans Vive Le Rock. Ils bénéficient d’un joli fond rouge, pour les images. Flavia repart sur le thème du «rock’n’roll transatlantic love story» de 2013. Elle n’ira s’installer au Danemark que deux ans plus tard, après une «2-year long distance relationship». Elle est fière de son petit bilan : «En 11 ans, on a formé les Courettes, on s’est mariés, on a eu un fils, enregistré quatre albums et parcouru le monde en jouant notre musique, touring non-stop around Europe, UK, USA, Canada, Japan and Brazil.» C’est vrai que ça impressionne. Et ça doit même en boucher un coin aux ceusses qui brament que le rock est mort. Avec une équipe comme les Courettes, le rock ne s’est jamais aussi bien porté. Flavia dit aussi sa fierté d’avoir développé son «own Wall Of Sound production». Martin parle du nouvel album en termes de «garage soul Wall Of Sound milestone». Un Wall Of Sound qu’ils ont déjà testé sur Back In Mono, leur premier album spectorish. Ils voulaient enregistrer Back In Mono Two, mais encore plus évolué. Pas facile ! Alors que Back In Mono était dédié aux girl-groups, The Soul Of est nous dit Flavia plus axé sur Motown, Sonny & Cher, Nancy & Lee, avec des coups de douze pour établir un lien avec la psychedelia californienne. Quel brouet ! Elle ajoute qu’en plus d’Hitsville USA et du Stax Musieum, ils ont visité the Sun Studio, Graceland, Al Green’s gospel church in Memphis, Chess Studio à Chicago et Laurel Canyon en Calfornie. Ça s’appelle un pilgrimage. En plus, l’album est en stéréo, and has a bigger sound.  

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             Eh oui, elle a raison de parler d’un bigger sound. The Soul Of The Fabulous Courettes semble réinventer une deuxième fois le Wall Of Sound. Dès «You Woo Me», on est frappé par l’incroyable profondeur de champ du son. T’as Gottehrer dans le team de prod. Prod encore avec «Boom Boom Boom», là t’es en plein Totor, le son est plein comme un œuf, avec les castagnettes dans l’écho du temps d’avant - Boom boom boom out of my chest - La La Brooks des Crystals vient duetter avec Flavia sur «California», pour un shoot de pop silver sixties, et ça explose comme au temps du Brill. C’est l’objectif. Inutile d’ajouter que les coups de génie pullulent sur cet album, à commencer par ce «Keep Dancing» fantastiquement pop, Flavia est tellement bonne ! Coup de génie encore avec «Wall Of Pain», en plein Brill, elle sait créer les conditions du génie pop, ça monte en neige, elle renoue avec la grandeur du genre, te voilà revenu dans le giron de Totor et des géants du Brill ! Encore de la pop de Brill avec «Stop Doing That», c’est d’une perfection qui dépasse les bornes. Avec «Shake», elle tape dans le drive de gaga minimaliste, elle danse d’un pied sur l’autre et descend au barbu pour se gratter la fuzz. Cet album qu’on peut sans rougir qualifier de faramineux se termine avec «For Your Love» qui n’est pas celui qu’on croit, c’est une Beautiful Song bâtie sur le principe scientifique de l’envolée, elle la joue en réverb avec des effets lointains et ça rosit les joues du charme. Ça monte et c’est beau comme une érection.    

    Singé : Cazengler, court toujours

    Courettes. The Soul Of The Fabulous Courettes. Damaged Goods 2024

    James Sharples : Boom Boom Boom. Vive Le Rock # 116 - 2024

    Kate Hodges. Mr & Mrs Soul. Shindig! # 155 - September 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - La conquête du Far Weston

             Aussitôt la première partie de catch sur le ring drapé de Baby West, ce fut l’accord parfait.

    Cette partie laissait présager d’un brillant avenir relationnel, au moins au plan organique. Il ne tarissait plus d’éloges. Jamais il n’avait goûté pareils délices. Jamais aucune femme, disait-il, n’avait hissé si haut le pavillon des plaisirs coupables. Éperdu de reconnaissance, il confia à Baby West que sa queue vibrait encore du souvenir de ses attentions. Baby West croulait littéralement sous le poids des compliments. Elle n’en demandait pas tant. Il alla jusqu’à lui raconter que sa science tactile relevait de l’expertise. Il lui fit tourner la tête en lui affirmant qu’elle incarnait à la perfection la compagne qu’il faut souhaiter à tout homme, si, si, insistait-il, alors qu’elle tentait de résister. Baby West était une brune plutôt petite, un peu rondelette, aimant bien rigoler, et d’une simplicité émouvante, d’origine très modeste. Ses dix frères et elle sortaient d’un roman de Zola. Il prit l’habitude de lui rendre visite deux fois par semaine, et il redoublait chaque fois de compliments tous plus exaltés les uns que les autres. Il lui disait qu’il n’était pas possible d’être aussi bien reçu et butiné avec une telle gourmandise. Il la félicitait, mais il félicitait surtout ses lèvres et ses doigts qu’il qualifiait de doigts de fée. Pendant de longs mois, il fut accueilli comme dans un rêve. Sitôt la porte refermée et sans autre préambule, Baby West s’agenouillait, le déboutonnait et enfournait ce qu’il avait de plus précieux, avec une voracité exemplaire. Tout en elle indiquait qu’elle adorait ça, car elle roucoulait, elle couinait des miam miam et des shlurrrps qui en disaient long sur l’incongruité de son imaginaire érotique. Elle œuvrait avec un luxe de tripotages inégalable. Personne n’aurait pu résister à une telle emprise. Il lui était impossible de s’arracher à cette étreinte, et la fatalité finissait souvent par le prendre de vitesse. Alors, pour meubler la soirée, il lui redisait sa fascination pour son expertise, il la bombardait de questions, il voulait savoir comment elle pouvait connaître sur le bout des doigts tous les ressorts de la masculinité. Elle répondait qu’elle n’en savait rien. Pour elle, c’était naturel. Elle n’avait que ce mot-là à la bouche. Naturel. Cette notion de naturel lui déplaisait profondément, mais dès qu’il prenait l’apéro, il oubliait ses réticences, sautait dans sa bagnole et retournait la voir. 

     

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             Apparemment, Kim Weston n’a pas eu beaucoup plus de chance avec les hommes. Les relations sentimentales sont toujours très complexes, et même imparfaites. L’harmonie n’est pas toujours au rendez-vous. Quand on vit une relation de couple privée d’expertise, on va voir ailleurs. Et on tombe sur une Baby West qui n’a hélas que son expertise à offrir, rien d’autre.   

             Deux choses à propos de Kim Weston. Un, elle figure parmi les très grandes stars de la chanson américaine, beaucoup trop surdimensionnée pour un label comme Motown. Deux, elle fut la poule de Mickey Stevenson, un Mickey Stevenson qu’on retrouve systématiquement crédité comme producteur sur tous les albums solos de la grande Kim Weston. 

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             C’est Mickey Stevenson qui la repère à Detroit et qui l’envoie étudier l’art dramatique et le chant à New York. Quand elle revient à Detroit, elle n’enregistre qu’un seul album sur Tamla, la fameux Take Two en duo avec Marvin Gaye. Kim est alors la poule de Mickey Stevenson, l’A&R de Motown, qui d’ailleurs produit l’album et compose pas mal de cuts, dont ce petit coup de génie planqué en B, «I Want You ‘Round», une espèce de slow-groove crapuleux dégoulinant de magie vocale, ce qu’on appelle communément une merveille inexorable. Mickey Stevenson et Sylvia Moy composent aussi l’«It Takes Two» d’ouverture de balda, véritable shoot de fast pop de Soul, on assiste à un bel échange entre Marv et Kim. C’est encore le trio infernal HDH qui rafle la mise avec «Baby I Need Your Loving», pur jus de Motown, Marv et Kim la jouent fine, baby baby, ils te groovent ça vite fait. Tout est beau chez Mickey Stevenson, sa prod éclate au Sénégal. Marv et Kim reviennent sonner les cloches de la B avec un «Till There Was You» signé Frank Wilson. C’est le slow groove des jours heureux et ça monte droit au firmament, Kim le prend à l’azur marmoréen et Marv au velours de l’estomac.

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             Quand Mickey Stevenson se fâche avec Berry Gordy et qu’il quitte Motown, il emmène Kim avec lui et la signe sur MGM. Un premier album solo paraît en 1966 : For The First Time. On voit tout de suite que Kim peut monter en puissance, façon Broadway. Elle vise la grande Soul d’art total, une Soul extrêmement arrangée et chantée à la Nina Simone. Mais elle est certainement trop sophistiquée pour les fans de Soul. Elle jazze son «Walking Happy» jusqu’à l’oss de l’ass. Elle ouvre son bal de B avec une cover de «The Beat Goes On». Elle te jazze le beat vite fait - Drums keep pounding/ A rhythm to the brain - elle injecte tout Broadway dans cette merveille intemporelle. Fantastique allure de boys keep chasing girls to get a kiss et de cars keep going faster all the time. Elle tape aussi dans Brel avec «If You Go Away», version américaine de «Ne Me Quitte Pas». Elle te l’embobine vite fait. Elle défonce encore la rondelle des anales avec «Come Rain Or Come Shine», du Broadway pur, quasi-Minnelli. Il faut aussi la voir claquer son come back to me dans «Come Back To Me», elle s’y montre fabuleusement jazz, avec un punch monstrueux, elle s’en va chanter la suite à la pointe de l’octave, elle règne sans partage. God save the Kim !

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             Avec un titre pareil, This Is America ne peut être que du Broadway patriotique. Alors Kim chante au large. Elle n’a aucun problème à aller taper dans l’intapable avec «The Impossible Dream» de Jacques Brel. Elle est plus forte que le Roquefort. Elle n’a rien à faire dans les bacs de Soul : c’est une jazzeuse de Broadway. En B, elle reste merveilleusement proche de Lisa Minnelli et de Shirley Bassey avec «Touch The Earth». Kim est délicieuse.           

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             Nouveau album de duo en 1969 avec Johnny Nash. On écoute Johnny Nash & Kim Weston pour deux raisons fondamentales : la cover de «The Letter» et «Baby Don’t You Leave Me». Comme ils ont tous les deux des voix très féminines, on s’y perd un peu. Nash chante soft et Kim l’épouse bien. Nash est même beaucoup trop soft, les violons n’arrangent rien. Par contre, ils y vont franco de port sur «Baby Don’t You Leave Me», ils te groovent une fabuleuse fondue de voix avec un guitar slinging bien acide par derrière. Et comme toujours avec Mickey Stevenson, ça reste de la pop sophistiquée. La cover de «The Letter» se planque en B, ils en font une mouture bien tendue, nerveuse, fougueuse à souhait, chantée à deux voix. Ils font aussi de la belle pop de langueur monotone avec «Stranded In The Middle Of No Place», une pop bien perlée, lumineuse et même extatique.

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             La pochette de Kim Kim Kim est un peu bizarre, le montage photo est sous-exposé, on ne voit pas grand-chose. Il semble que Kim soit dans la période Miriam Makeba/Nina Simone. Au dos, on voit que Mickey Stevenson s’est dessiné un petit logo touchant : Mikim, qui symbolise l’union de Mickey & Kim. On retrouve la grosse présence de Kim dès le «You Just Don’t Know» d’ouverture de balda. Elle bouffe la Soul de Volt toute crue. C’est énorme et même spectaculaire de voir Kim dans tous ses états. Elle remplit l’espace aussi facilement que le font Shirley Bassey et Lorraine Ellison. Avec «What Could Be Better», elle est à la fois tentaculaire et océanique. Mais c’est en B que se joue véritablement le destin de Kim Kim Kim, elle commence par élaborer la Soul de «Buy Myself A Man», elle tartine jusqu’en haut, là où se perd le regard. Puis elle tape dans Solomon avec «Got To Get You Off My Mind», avec un léger parfum de gospel, et comme tu as Patrice Holloway dans les chœurs, alors ça swingue. Elle passe à la classic Soul de r’n’b avec «Soul On Fire», mais ce n’est pas son truc. C’est du Volt Sound très orchestré, mais elle n’est pas aussi fulgurante qu’à Broadway. Elle boucle sa B avec «The Choice Is Up To You (Walk With Jesus)», elle est vraiment faite pour le Porgy & Bess, pour les ambiances des couches supérieures.   

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             Paru en 1970, Big Brass For Poster pourrait bien être son meilleur album. Il s’agit en fait d’un album de covers, c’est du trié sur le volet. Elle tape pas mal dans les Beatles, avec le «Something» du roi George, elle le prend au slow groove de Broadway, elle en fait une version swinguée qui alterne le soleil et la pluie, c’est inspiré au plus haut point. Dommage qu’on ne sache pas le nom du guitar slinger. Elle tape aussi dans «Eleanor Rigby» : big Broadway bush ultra-cuivré, elle chante comme mille diables. Elle fait aussi une version sensible de «Don’t Let Me Down», c’est toujours très Broadway, plein de possibilités, elle chante les bras en croix, au carrefour des grandes avenues du monde, elle chante à si pleine voix qu’elle éblouit, wow, quelle pugnacité ! Comme Eugène Boudin, elle est la reine des ciels. Avec «Something I Can Feel», elle est aux frontières de Burt. Même pureté mélodique. Elle rivalise de grandeur tutélaire avec Lisa Minnelli dans «My Man». Même groove de jazzeuse impénitente, elle s’en va gueuler my man à la pointe sidérale de l’octave. Et puis comme si tout cela ne suffisait pas, voilà qu’elle tape dans «Windmills Of Your Mind». Pas de magie plus blanche que celle de Michel Legrand. Comme le Vanilla Fudge et Dusty chérie, elle explose le cercle magique, elle l’explose de fond en comble, elle en fait une abominable aventure subliminale. On se retrouve tout bêtement au paradis, au cœur du fin du fin, dans l’antre palpitant du saint des saints, elle donne de la grandeur à l’odeur de sainteté. Encore une autre cerise sur le gâtö ? Oui, avec sa vision de «Sound Of Silence». Chez Kim, tout fond dans la bouche, and the vison that was planted in my brain/ It still remains, elle le gronde dans le giron de sa féminité profonde, dans l’éclat de sa concupiscence, Kim est une carne, elle élève le Sound of Silence au rang de sub-chef-d’œuvre, au rang d’enchantement technicolor, elle lui donne des lettres de noblesse.

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             Quand on croise Investigate dans un bac de Soul, on se dit : «Tiens, Kim Weston vire diskö !». Elle a une vraie tête de Diskö queen. Mais si on jette un coup d’œil au dos, on tombe sur le logo de Motorcity, le label de Ian Levine. Soit on fait «Ha ha !», soit on fait «Ho ho !», en tous les cas, on ramasse Investigate pour l’investiguer. Bon, c’est vrai qu’elle attaque en mode diskö, mais elle le fait sans conviction. On se penche un peu plus sur les crédits et qui qu’on voit ? Le nom de Sylvia Moy qui compose avec Ian Levine. Ça, c’est du crédit ! Mais tu vas aussi croiser les noms de Stevenson/Norman Whitfield qui signent «It Should Have Been Me», alors Kim se met à enchanter cet album. Comme la compo est superbe, Kim fait monter la neige. Elle boucle son balda avec du HDH, c’est-à-dire du Holland/Dozier/Holland, «Take Me In Your Arms», du heavy Motown de Motorcity et c’est excellent. Fantastique énergie rythmique ! Idéal pour une louve comme Kim. Et paf, en B, elle tape le fameux «Dancing In The Street». Dans ses mémoires, Mickey Stevenson, co-auteur de ce hit avec Marvin Gaye et Ivy Jo Turner, raconte qu’ils proposèrent Dancing à Kim mais ça ne collait pas. Martha Reeves qui était là sauta sur l’occasion et en fit le hit mondial que l’on sait. Alors Kim prend sa revanche avec cette mouture extraordinaire, elle y va au pouvoir absolu, c’est du pur sweet sweet mucic/ Everywhere, elle prend sa revanche sur Martha, c’est complètement à sa main. Puis elle tape dans HDH avec «Helpless. Elle est parfaitement à l’aise avec HDH. Elle est tellement brillante !

    Signé : Cazengler, Kim Veston

    Kim Weston. For The First Time. MGM Records 1966

    Marvin Gaye & Kim Weston. Take Two. Tamla 1966

    Kim Weston. This Is America. MGM Records 1968            

    Johnny Nash & Kim Weston. Major Minor 1969  

    Kim Weston. Kim Kim Kim. Volt 1970

    Kim Weston. Big Brass For Poster. People Records 1970 

    Kim Weston. Investigate. Motorcity Records 1990

     

    *

    _ Docteur Damie je suis venu parce que je me sens mal !

             _ Je vois bien, vous avez une mine de déterré, d’ailleurs si je m’écoutais au lieu de perdre mon temps à vous examiner je devrais plutôt vous refiler un permis de vous inhumer vivant, en remplissant votre tombe vous combleriez le trou de la Sécurité Sociale.

             _ Docteur Damie, s’il vous plaît, j’en appelle à votre conscience et à votre réputation d’humaniste j’accepterais de tripler le prix de la consultation !

             _ Vous m’excuserez moi j’en appelle à votre devoir de citoyen qui n’entend point augmenter la dette nationale. Sacrifiez-vous pour le bien commun !

             _  Docteur Damie, je consens à faire un effort, je vous promets une somme de 1000 euros si vous daignez vous occuper de moi !

             _ Bon ! si vous me prenez par les sentiments, mais ne le dites à personne !

    _ Merci Docteur !

    _ Ne perdons pas de temps, tirez la langue et dites 33 !

    _  … v…vi… vin… vin … neu… neuf ! C’est tout ce que j’arrive à dire docteur, croyez-vous que ce soit grave…

    _ Désespéré, vous ne passerez pas le mois de juin !

    _ Docteur, je vous en prie, une intervention chirurgicale, je ne sais pas moi, il n’y a donc aucune chance de survie !

    _ Ne comptez pas sur la chance, seule la science peut vous sauver !

    _ Docteur Damie, dans toute la  ville l’on dit que vous êtes formidable et que votre science est grande.

    _ C’est doublement exact, je sais bien que la plupart de mes collègues devant la gravité de votre cas préfèrerait vous tirer une balle dans la tête que de tenter la seule prescription possible, la fameuse RGN 33 AMJ !

    _ Docteur je suis prêt à tenter l’impossible, expliquez-moi tout !

    _ C’est une méthode américaine mise au point par un certain docteur Huey Smith, le gars ne faisait pas de détail, pour le calmer ses collègues n’arrêtaient pas de lui dire piano-piano ! L’est vrai que son traitement était ébouriffant !

    _ Peu m’importe de souffrir, docteur Damie !

    _ Je ne suis pas sûr que vous survivriez, un certain docteur Mitchell voici quelques années a repris sa méthode, une manière un peu plus douce, les résultats se sont quelque peu améliorés, enfin tous les avis ne concordent pas…

    _ Docteur prescrivez, prescrivez, je vous en prie, tenez je signe un chèque de 200O Euros !

    _ Bon, faisons vite avant que vous ne changiez d’avis, vous souffrez du syndrome Pneumonia Rock And Boogi-Woogie Flue. La fameuse méthode contraceptive RGN 33 AMJ. Vous m’en direz des nouvelles. Tenez la voici, je sais, c’est un peu lourd, quarante-huit pages, écoutez-moi bien, vu votre niveau intellectuel je vais vous la commenter, vous suivrez mes recommandations à la lettre, c’est votre survie qui en dépend, c’est compliqué, l’important pour réussir c’est de saisir l’ordre chronologique d’application…

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    N° 33 / AVRIL / MAI / JUIN

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             Donc l’ordre chronologique, nous filons tout de suite page 30. Décoction de racines, mise au point par le chercheur Julien Bollinger. Avant le Rock‘n’Roll qu’y avait -il ? Le Blues ! Et avant le Blues ? Là on descend au fond du fond. Plus roots vous ne trouverez pas. La preuve l’est né en 1874 ! Certes des gars qui chantaient, ça ne devait pas manquer à l’époque , mais d’Henry Thomas on possède des enregistrements (1927- 1930) ! Vous le connaissez même si vous ignoriez jusqu’à son existence, Going up the Country c’est lui (sous le titre Old Country Stomp). Faut l’écouter. Guitare et une espèce de flûte de Pan, c’est fou comme ça ne sonne pas vieillot, preuve qu’au travers du blues, du folk et du rock il existe une continuité étonnante. L’article est super bien écrit, fourmille de renseignements et de réflexions.

             Attention, traitement de fond, page 3 à 15, soit douze piqûres fournies par le laboratoire Jean-Louis Rancurel, un truc ultra-vitaminé, les années Golf-Drouot. Une potion magique, emplies de photos inédites, je pique par exemple celle de de Nancy Holloways ou celle de Vince Taylor l’ange noir tout vêtu  de blanc, Bill Halley, Gene Vincent, Eddy Mitchell et Johnny Hallyday, plus tous les autres, et bien sûr celui par l’absence duquel rien ne serait arrivé : Henri Leproux, Rancurel le décrit exactement de la même manière, grande modestie et intègre dévouement, que Joëlle, une amie chère qui avait relaté dans son émission radio Âme Rock Café, sa rencontre avec Henri accompagné de sa femme Colette, tous deux esseulés, tristes mais dignes, dans un salon du livre attendant pour signer leur livre et partager leur passion… Grâce à l’interview de Sergio nous suivons cette épopée mythique des commencements du rock français… une histoire qui court des pionniers à la renaissance rockabilly… comme par hasard il n’y a pas eu grand monde pour s’opposer à sa fermeture administrative…

             Pour raffermir le cœur, siège des émotions, n’oublions pas qu’il a deux côtés, donc pour le premier ventricule une double potion. Pages : 42-43 : la journée d’hommage à Crazy Cavan, concert des Rhythm Rockers avec Joe Grogan, le fils Cavan au chant. N’oublions pas qu’au début des seventies ce sont les Teds en Grande-Bretagne qui ont perpétué contre vents et marées pop le good old rock’n’roll !

             Soyons juste, n’oublions pas le deuxième ventricule, les ricains n’ont pas tardé à reprendre le flambeau au début des eighties, donc quatre pages d’une bonne rasade de Stray Cats, pas eux en personne, pages 24-27 mais Christophe Pillemy, un fan oui, mais un fan-collectionneur, vous en rencontrez un max dans les milieux rock, une maison remplie d’une multitude de disques, de photos, d’objets, le genre de démarche incompréhensible pour les gens non passionnés, nous rappellerons que chacun poursuit son bonheur là où il le trouve…

             Super bien foutu ce numéro, vous traversez un siècle et demi (1974-2025) de rock’n’roll sans vous en rendre compte, et il reste encore vingt pages d’actualité. Car le rockabilly ne se limite pas aux Stray Cats dont Christophe Pillemy a retracé l’influence sur nombre de groupes en pleine action aujourd’hui. Par exemple les Rhythm Aces, ils sont en couverture, ils squattent la double page centrale, et vous les retrouvez en concert à la fin du fascicule, des britichs de passage à Quimper, ils se racontent, surtout Peter, beaucoup de cheminement rock’n’roll, et pour finir une histoire d’amour que l’on ne lit que dans les romans. Qu’est-ce que le destin ?

             Une extraordinaire soirée au Cirque Electrique avec nos Ghost Highway, et une mirobolante floppée d’invités. Une Teddy Cats Party à Strasbourg avec Nelson Carrera (il n’a aucun mérite, il possède une voix de rêve qu’il maîtrise avec un art époustouflant), mais encore Nightingale and the Haydock, Badcraft, Big Dood and Hot Swingers, il y en a d’autres mais vous êtes assez grands pour les retrouver…

             Vous avez eu le passé et le présent, pour le futur, il porte un nom : Jc Le Lascar, Parmain n’est pas terminé que notre Lascar lance un nouveau festival :    Rockin Montsoul… Le rock’n’roll a la vie dure !

             Ce numéro est un peu comme l’œuf cosmique du rockabilly, en plus Sergio Katz n’a pas oublié de joindre ses splendides photos !

             Si vous ne l’avez pas, c’est peut-être que vous ne le méritez pas !

    Damie Chad

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,72 de frais de port soit 10,72 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 39 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

             Les mots nous attendent-ils ? Toujours est-il qu’ils nous attirent. Surtout lorsqu’ils accompagnent une image qui n’a apparemment rien à voir avec leur signification. Certes si l’on prend pour idée que les chevaux de Neptune ont un rapport certain avec la mer représentée par cette couve envoûtante… 

    THE LIGHT KEEPER

    TRIMARKISIA

    ( Bandcamp / Février 2025)

             J’ai d’abord pensé avoir affaire à un trio, le préfixe ‘’tri’’ induisait cette hypothèse qui s’est vite révélée fausse. Le groupe s’est vite réduit à un one man band. Je ne suis guère favorable à ce genre de formation solitaire. Un a priori, je l’accorde. Autant un vieux bluesman – ces vieux étaient en réalité très jeunes – penché sur sa guitare me séduit, autant je me méfie : les musiciens d’aujourd’hui ayant à leurs dispositions de multiples objets technologiques, ne parlons pas de l’aide de l’IA, une pétition de principe je l’admets. 

             Pour ceux qui adorent les chevaux, la trimarkisia était une technique militaire employée par les cavaliers celtes. Il s’agissait de combler les pertes subies dans le combat durant la bataille-même. Le principe était simple. Chaque cavalier possédait deux aides, plus une ou deux montures d’appoint tenus en réserve derrière les unité combattantes, chargés illico presto de remplacer, si j’ose dire jusqu’à épuisement du stock, le cheval ou le maître blessé ou tué… Plus tard au Moyen-Âge, nous aurons le Chevalier et l’Ecuyer…

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    La couve est un tableau d’Albert Pinkham Ryder (1847 – 1917) peintre américain qui usa d’une technique particulière, alternant sur ses toiles des couches à séchage lent avec d’autres à séchage rapide. Une étrange lumière se dégage de ses tableaux, dont la conservation se révèle très difficile, la superposition des couches créant une grande instabilité… Pour donner une idée des résultats obtenus par Pinkham, ce paraphe est précédé de la reproduction d’une de ses œuvres : Te Race Track

    Notre one man band se nomme Wilhem Osoba.  Le seul renseignement que j’ai pu obtenir est celle de son implantation géographique en la bonne ville d’Albi située en pleines terres occitanes. Un peu surprenant quand on regarde la marine choisie pour  illustrer ce premier EP. N’oublions pas que les voyages, sur terre, sur mer, parmi les étoiles se déroulent avant tout au travers du philtre de notre imaginaire.

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    The Light Keeper : l’expression ‘’light keeper’’ perd de sa poésie lorsque l’on la traduit en français par le gardien du phare. Une voix rugueuse, orageuse, elle se fraie un chemin parmi les vagues de la musique conquérante qui souligne davantage qu’elle ne tente à submerger la nef vocale, sepulcra vox en laquelle se reflètent les fantômes du passé, le paysage sonore, tourbillons d’écume sur les récifs noirs, phare dans la tempête qui ruisselle autant des assauts des vagues que des eaux des  rêves que la marée emporte ou ramène, ainsi s’échappe la folie mouvante des solitaires confrontés à eux-mêmes dans un dialogue sans fin avec la force élémentale. Last Days of Rain : les derniers jours de pluie sont les plus longs, aussi larges que l’immensité blafarde du ciel embrumé, aussi impitoyables que les assauts répétés  des flots éternels de l’océan.  La nuit s’est perdue. Le jour glauque est revenu. La guitare s’étire tel un écheveau de laine grise, viennent les moments espérés de dormance, la voix moutonne une drôle de berceuse, l’appel à un sommeil calfeutré dans la coque de l’oubli des sensations et du rêve éveillé. Aven : le gouffre sans fin des tristesses résolues et non révolues, presque un chœur d’espoir funéraire, tomber sans fin dans le puits sans fond du songe. Un voyage immobile au cœur de soi-même, une chevauchée infinie sur des terres gastes qui reculent sans cesse, le rythme s’alourdit, presque un chevalier à la tête de son ost, parti reconquérir son royaume, celui qui n’existe pas dans ce monde-ci et peut-être même pas  dans celui de l’ailleurs, mais chevaucher sans arrêt, ressentir au moins le sentiment de pouvoir saisir, s’emparer et se situer enfin dans l’éternité de son rêve. Le gouffre de l’émoi est encore plus profond au tréfonds de moi. When the Sun No Longer Rise : comme un bruit une guitare qui vrombit, est-ce pour annoncer la fin du voyage, le bout du tunnel qui débouche sur l’inconsistance de toute existence, la voix est plus lourde, celle d’un soudard désemparé qui ne croit plus en son but, au fond du trou, le rêve s’est évanoui, ne pousse que la solitude, le mépris de l’amour des hommes et la haine de cette espèce malfaisante dont il n’est qu’un exemplaire interchangeable, la batterie se déchaîne comme un tigre acculé contre un mur, qui sait que le combat n’aura jamais de fin, faute de combattants insaisissables par ses griffes lasses.

             L’on aimerait que la dérive intérieure continuât, que l’opus ait une dizaine de pistes à parcourir. Lyrique, romantique.

    BLAK MOUNTAIN

    (Bandcamp / Mai 2024)

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    The keeper of the light, titre ô combien ironique, avait été précédé par un single. Avant la métaphore de la mer il y eut donc celle de la montagne. La couve est une photographie due à Wilhem Osoba. Preuve que les métaphores collent à la peau de ses rêveries solitaires.  Peut-être même s’y substituent-elles.

    Pour rebondir sur le dernier mot de l’écoute du disk précédent, rappelons-nous qu’à son apparition le mot romantique désignait les paysages de montagnes pittoresques, motifs dignes d’un peintre inspiré par leur aspect désolé et tourmenté. Préfiguration naturelle des âmes angoissées qui les parcouraient, analysant  le miroir de leurs culminances écrasantes comme le reflet de la démesure de leur esprit tourmenté.  

    A écouter comme un long poème instrumental, un chant glacé et torrentueux figé en lui-même, une longue ascension vers un paysage choisi, celui d’une âme altérée de grandeur qui se perd dans l’intumescence de sa volition à égaler la majesté écrasante des sommets, de plus en plus violent au fur et à mesure que la montée se fait rude et l’oxygène rare, dans le secret espoir peut-être que dans cet air plus subtil l’âme se désagrège, que les images constitutives d’une mémoire hantée des anciens combats celtiques s’aérisent, que l’esprit s’élève plus haut que le charnier natal des aigles qu’il  dépasse, maintenant la pâte sonore s’assombrit et perd un peu de de sa virulence alors que le tissu  mental s’évade dans la sphère de nouveaux éons, et que vues de bien plus haut les sombres montagnes irradient de la lumière rouge d’une lune sanglante revigorante, qui insuffle dans le tissu mental du rêve la lymphe et la force des anciens combats, suprême baptême de sang d’un nouvel héros investi d’une royauté imaginaire mais ancestrale.

    De toute beauté.

    Damie Chad.

     

    *

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            Ceci, ci-dessus, n’est pas le portrait-robot d’un terroriste mais d’un terrockriste, comme nous les aimons, nommé Bill Crane, effectué par Eric Calassou. Nous atteignons ici à notre première diffraction mentale. Bill Crane et Eric Calassou sont une seule et même personne, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient identiques, nous avons déjà consacré plusieurs chroniques, concerts et disques à Bill Crane, groupe dont Eric Calassou fut l’inspirateur et le catalyseur. Puis Eric Calassou partit vivre en Thaïlande, il croyait en avoir fini avec le rock’n’roll, mais une fois que le poison du rock  vous a contaminé vous pouvez connaître des périodes de dormition mais il finit par agir directement sur les centres vitaux de votre cerveau dont il reprend le commandement, et bientôt depuis son pays lointain, Eric Calassou s’est remis à enregistrer tout seul avec sa guitare de nouveaux albums de rock que nous avons bien entendu chroniqués.

             L’histoire pourrait s’arrêter-là. Hélas, c’est ici que débute la deuxième diffraction mentale. Evidemment, Kr’tnt ! n’a pas hésité à plusieurs reprises à visiter cette seconde aventureuse faille, en effet Eric Calassou s’adonne aussi à la photographie. Commence même à être reconnu, la fameuse et luxueuse revue canadienne Hintology publie certains de ses clichés. Pour notre part nous avons déjà consacré deux chroniques à cette activité calassouréenne. L’on pourrait presque écrire calassouvereine tant elle semble étendre son royaume sur sa perception du monde, quoique le terme calassouveraine   serait encore davantage approprié puisqu’elle nous oblige quelque peu à changer notre propre vision et à adopter sa manière de voir.

             Nous allons dans cette chronique essayer de frayer notre chemin de compréhension entre figuration représentative et abstraction photographique. Osons une comparaison auditive : toute la différence entre la musique et le bruit. Osons une comparaison balzacienne : toute la différence entre par exemple : Les scènes de la vie de province de La Comédie humaine et le suprême tableau réalisé par le peintre Frenhofer dans Le Chef d’œuvre Absolu. 

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             Nous commencerons par cette scène de la vie Thaïlandaise, une vue figurative des plus banales, rien de spécialement exotique, semblable à celle que nous pourrions rencontrer en France. Si ce n’est ce coloriage bigarré qui heurte notre vision. Surexposition, sous-exposition, manipulations diverses, on s’en moque. Sommes-nous dans une espèce de surréalisme tape-à-l’oeil, ou d’hyperréalisme à la va-vite, là n’est pas le problème, simplement l’inquiétude qui pointe en nous : notre regard sur le monde, en l’occurrence celui de l’artiste, est-il notre propre représentation du monde ou est-il façonné par la volonté du monde à se présenter à nous sous tel ou tel aspect. Qui commande l’autre. La question semble bizarre : nous regardons le monde, mais nous oublions que le monde lui-aussi à sa façon nous regarde. Essayons d’échapper à ce vertige en regardant un cliché a priori davantage réaliste.

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             Enfin chez nous ! Une photo pour illustrer un morceau instrumental nommé White Sky d’Eric Calassou paru sour YT. Tout est normal : le ciel est blanc, ces fils que nous subodorons électriques sont une parfaite illustration de ce que le rock est une musique électrique. Z’oui, mais cette photo ne nous adresserait-elle pas un message, ces fils électriques ne désigneraient-ils pas une portée musicale ou les lignes d’un cahier, rien d’explicite certes, toutefois n’est-ce pas une représentation qui nous fait signe qu’elle n’est qu’une représentation de quelque chose qui ne correspond point à ce qu’est exactement cette chose.

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             Le grand saut. What is it ! Un détail minuscule de ce que nous appelons la réalité auquel nous ne prêtons généralement aucune signification, à cause même de ce qui nous semble être son insignifiance, ici mis en exergue, pour qu’elle nous fasse signe. De la photographie abstraite si l’on veut, qui nous oblige à lui donner un sens tiré de notre façon d’appréhender le ‘’ réel’’, de la rattacher à tout prix à celui-ci, ne serait-ce pas un pullover de laine, ou le labourage d’un champ, ou une vue d’un désert de sable… C’est fou comme l’abstraction nous oblige à parcourir différentes représentations du réel. Tout comme nous entendons le bruit de la noise music en la comparant, à la définition de ce que nous nommons l’harmonie de toute musique. Nous appréhendons ainsi une chose qui s’offre à nous par ce qu’elle n’est pas. Serions-nous tous des platoniciens qui s’ignorent, mirant les ombres des Idées  que nous ne voyons pas. Ne possédant même pas les mots qui seraient capables de les nommer.

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    Nous terminerons par cette dernière photographie que nous baptisons sûrement à tort : gouttes d’eau sous verre, mais nous-mêmes ne portons-nous pas un prénom et un nom qui ne nous nomme qu’imparfaitement. Posons-nous la question suivante, si notre  nominalisme nominalise le réel sans l’atteindre, comment pouvons-nous atteindre celui-ci et comment celui-ci peut-il établir un contact avec nous. La représentation d’une chose est incapable de nous atteindre par sa vérité, le seul moyen de conversation que nous pouvons envisager est celle de son apparence, ce reflet que nous nommons beauté, celle-ci dépendant autant de l’individu que la chose se montrant. Nous clorons cette chronique en citant John Keats : A thing of beauty is a joy for ever.

    Encore faut-il être capable d’entrevoir la beauté en nous et au travers des choses. Cela demande certainement effort et réflexion.

    Sur le FB et l’Instagram d’Eric Calassou se trouvent des centaines de photographies. Un chercheur, un effracteur, qui nous dévoile les trésors qu’il arrache à la monstration du réel.

    Damie Chad.

     

    *

             Le problème n’est pas de faire un disque. Mais d’en faire plusieurs. Le problème n’est pas de faire plusieurs disques, mais de ne pas se répéter. Ni de décroître. Ni de se renier. Le problème n’est ni de se répéter, ni de décroître, ni de se renier.  Le problème est d’ouvrir un chemin solitaire. Que d’autres plus tard emprunteront. Des suiveurs.  

    NEGATIVE SKILLS

    POGO CAR CRASH CONTROL

    (Wagram Music / Mars 2025)

             Dix ans déjà ! Un premier EP de rage adolescente. Suivi de trois albums. Déprime Hostile : déclaration de guerre au monde entier, Tête Blême : coups donnés et reçus, Fréquence Violence : hymne à la survivance. Entre temps ils ont grandi. Ils ont jeté leur gourme riffique. Ils ont porté le feu aux quatre coins de l’hexagone with the wind. Et après ?

             Bref on les attendait au tournant. Le groupe au couteau entre les dents, qu’il vous plantait sans hésiter entre les omoplates. Comment allaient-ils vieillir. Pardon assumer le passage de leur adulescence à leur pleine jeunesse.

             Faut être juste. Comparés aux autres ils bénéficient d’un terrible handicap. Malgré leur nom anglais ils sont français ! Autant dire qu’ils n’étaient rien. Alors ils sont partis à New York. Pas pour faire du tourisme, mais pour regarder le rock’n’roll depuis l’autre côté, pas par le petit bout de la lorgnette. En ont profité pour changer de look et profiler leur musique autrement. N’ont pas traversé l’océan sans rien dans les poches. Ont emmené des valises remplies à ras-bord de leur fourbi habituel : hardcore, punk, grunge, metal, post-tout ce que vous voulez et before-tout ce qui viendra. Savaient crasher en plein vol, hors de tout control, mais désiraient en quelque sorte un œil extérieur, celui de Jon Markson – moi ce j’aime chez lui c’est le nombre de groupes à K7 qu’il a enregistrés – pour mettre un peu d’ordre dans leur cambuse, n’oubliez pas que nos physiciens modernes nous apprennent qu’un enfant qui range sa chambre ajoute du désordre dans l’univers.

             Lors de ma première kronic sur Don’t Get Sore, la vidéo jetée en pâture à la fin de l’année dernière pour calmer l’impatience des fans j’avais remarqué que les Pogo me semblaient aborder un changement musical que je comparais à celui effectué par les Howlin’ Jaws. En découvrant dernièrement la pochette de Negative Skills, j’ai sursauté. Attention je n’insinue pas que les Pogo ont copié les Jaws, la ressemblance est toutefois flagrante, je pense qu’une rupture esthétique musicale si elle est accomplie et assumée totalement se répercute aussi sur d’autres plans, vestimentaire ou capillaire par exemple, et dans ces deux cas précis par un bouleversement esthétique graphique. Est-ce que cette parenté entre les deux pochettes est due à un simple effet de mode ou à des relations beaucoup plus subtiles et souterraines qui conjuguent la mode éphémère aux allures comportementales des modes existentiels de vie. Nous abordons ici à des analyses qui exigeraient pour être développées des données rendues impossibles à recueillir par la difficulté de les  collationner d’une manière fiable.  Nous retombons ainsi dans l’oiseux et vieux débat du hasard ou de la nécessité.

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             Les Howlin’ ont goupillé leur artwork avec l’aide de l’Intelligence Artificielle. Les Pogo ont fait appel à Cogume3li. Je ne sais avec quoi elle travaille. ‘’Cogumelos’’ est le terme portugais pour désigner nos champignons. Apparemment quand l’on visite son Instagram l’on est sidéré mais pas halluciné. Entre dessins d’inspiration japonaise et érotisme pré-nubile bon marché. Pour ne pas être méchant disons que nous sommes en présence d’une forme d’arte povera populaire. Joli. Mais joli n’a qu’un œil. Encore faudrait-il l’ouvrir.

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    You Came to Me :  l’on s’attend à un coup de balai sur les araignées, qu’elles descendent du plafond et qu’elles viennent nous mordre. Pour une ouverture c’est un peu raté. Z’ont bridé le cheval. Le pire c’est que lorsque le morceau se termine l’on s’aperçoit que l’on a décroché depuis un bon moment et que l’on s’est ennuyé.

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    Don’t Get Sore : pas de souci, voici la véritable entrée de l’album, le précédent si je me souviens bien est un de tous premiers morceaux qu’ils ont repris dix ans après, dans la série on déambule dans le vieux vestibule ont-ils à la manière de Marcel Proust tenté de retrouver le temps perdu, le nouveau programme, la carte du chef, pour bien comprendre vous avez une vidéo grand écran qui vous aide à entrevoir le déroulement des festivités, quelques vues de New York et un montage scénarisé à outrance. D’ultra-courtes séquences qui se télescopent et se bousculent, chacun a droit à ses cinq secondes de célébrité, z’ont augmenté la vitesse de la célèbre déclaration d’Andy, une idée de la modernité, la rencontre des êtres, ce qui a eu lieu se continue, quoique brisée, encore dans le passé et le futur, ces trois stases temporelles elles-mêmes mélangées,  une idée nouvelle se partagent le vocal, chacun y va à sa manière, entre confidences, murmurations, et envols de clameurs, l’en est de même pour l’accompagnement, se déglingue de tous les côtés, bye-bye les grandes galopades dans les vastes plaines, un puzzle qui se disperse sitôt reconstitué, ces derniers temps le réel  a beaucoup changé, l’est sûr que cette désarticulation ressemble davantage au déploiement historial actuel. Comme Toi : ce coup-ci ils ne

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    mélangent pas les cartes, la vidéo vous raconte l’histoire du début à la fin sans oublier le milieu, une soirée entre potes déchirés par l’amitié et quelques adjuvants, puis l’embrouille avec un autre groupe, un zeste de violence et tout se termine comme ça avait commencé, trois potes, ensemble. La musique est douce, la voix est fluide, presque endormeuses, les jours heureux d’une jeunesse d’aujourd’hui comme toi. Regardez-nous, écoutez-nous, nous sommes comme vous. L’on n’a rien contre, mais déjà vingt-cinq pour cent de l’album entendu et pas de horde barbare à l’horizon. Ah, c’est vrai, ce sont les nouveaux Pogo. Shallow Time : tiens, les voilà, Constantin Cavafy avait raison de déclarer que ces gens – il parlait des barbares - que ces gens-là étaient, auraient pu être, une solution. Un cri, et les hordes mongoles déboulent, les Pogo mènent la harde famélique, vont nous bouffer tout cru, le rock c’est beaucoup sado et un peu maso, on l’aime comme cela, mais qu’est-ce que l’on croit, les temps changent, ils ont besoin d’un peu de temps tranquillou, ils ne hurlent pas, ils modulent, ils chantonnent, une guitare nous envoie de la marmelade, les giclées d’arsenic du vocal ne sont plus qu’un bon souvenir, se métamorphosent en douces mélopées enchanteresses. Je Mettrais Bien le Feu : ça y est la batterie fout bien le feu au bûcher funéraire, mais pourquoi ce vocal de messe basse, auraient-ils peur que l’on entende leurs raisons de tout brûler, dommage car leurs motivations nous plaisent, mais au lieu de nous les susurrer à l’oreille, ils devraient les gueuler bien fort, même la zique est en sourdine, boutez the fire, on vous passe nos briquets et nos allumettes, peine perdue, ils manquent d’essence et d’énergie. 10 Miles Away : un petit moment qu’ils nous balladent, l’on commence à fatiguer, l’on suit mais un peu de loin. Ten miles away.  Quelle est la Diff ! : on a eu raison de ne pas s’arrêter en route. Enfin un morceau dans le prolongement de Don’t Get Sore, ce n’est plus l’ancien Pogo, mais le nouveau, le volcan n’explose pas mais les coulées de lave engloutissent tout ce qui se trouve sur leur passage. Sur la fin un long pont de Tancarville que l’on pourrait qualifier de noise savamment orchestré. Cerveau Mort : pas besoin de mourir pour trouver du nouveau. Quel fouillis, inutile de chercher votre cervelle dans ce fouillis sonore, il y a longtemps qu’elle s’est débinée de votre occiput, quel ramdam, une véritable confiture pour les cochons fouilleurs que nous sommes. Roulons-nous dans la boue de cette bauge. Hatewatch : encore une mine antipersonnel balancée sur le parquet de la salle-à-manger, d’un côté ça tangue comme un catamaran sur une mer grosse et dans toutes les autres directions vous avez une pléthore de bruissements souterrains annexes qui vous ravissent, pardon qui vous dévissent les oreilles.  Même des barrissements de phoques barrissent sur la banquise. Un délice. Negative Skills : n’ont pas raté le titre éponyme, z’y vont de toutes leurs forces, vous bazardent leur triste philosophie de la vie avec un entrain qui vous réveillerait les morts dans les cimetières. Chantent et jouent à gorge déployée. Est-ce Que ça Vous Parle ? : n’ont pas été piqués par la mouche tsé-tsé mais par la tarentule de la folie. L’on retrouve nos bon vieux Pogo qui vous passent dessus avec leur bulldozer sans prendre la peine de s’arrêter pour vous demander s’ils sont sur la bonne route. J’ai Grave le Seum : ils ont la haine et ça s’entend, commencent vraiment à maîtriser leur nouvelle manière, une symphonie vocale éclatée et une zique à l’emporte-pièce de la vie insuffisante qui suit le mouvement sans oublier de le dépasser. 

             Une première face expérimentale pas tout à fait au point, mais une B qui attire et attise l’approbation.  A moins que ce ne soit un virage annoncé mais pas encore prononcé.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 645: KR'TNT 645: THE JESUS AND MARY CHAIN / ZOMBIES / ELVIS PRESLEY + ROCKABILLY GENERATION / SPYDER TURNER / JEFF LESCENE / STUPÖR MENTIS / ERIC CALASSOU / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 645

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 05 / 2024

     

     JESUS AND MARY CHAIN / ZOMBIES

    ELVIS PRESLEY + ROCKABILLY GENERATION

    SPYDER TURNER / JEFF LESCENE

    STÜPOR MENTIS / ERIC CALASSOU

    ROCKAMBOLESQUES  

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 645

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Three)

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             Allez, on va dire que ça fait quarante ans qu’on guette l’actu des Mary Chain. Le premier à me parler des petits Jésus, ce fut Jean-Yves qui venait de découvrir Psychocandy. Il était complètement fasciné par ce son, par ce look, par cette morgue, par cette fuzz, par cette réinvention du rock anglais qui pompait tout ce qu’il y avait de mieux dans la pop mélodique américaine, c’est-à-dire les Beach Boys, Totor et le Velvet. Les Mary Chain ressemblaient à ces huîtres qui filtrent l’eau de mer pour n’en garder que l’essence et fabriquer des perles.

             Quarante après Psychocandy, les Mary Chain refont l’actu en beauté, avec un concert à l’Élysée Montmartre, avec un nouvel album, Glasgow Eyes, et donc un peu de presse, dont une belle interview dans Record Collector. C’est le genre d’actu qui nous gave comme des oies. Coin coin ou cui cui, c’est comme tu veux.

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             Ah si seulement le Vatican avait pris des petits Jésus comme ambassadeurs de la foi ! Rien que de les voir arriver sur scène, non seulement ça te remonte le moral, mais ça te remonte aussi les organes qui commencent à descendre. L’entrée sur scène est avec le final («I Hate Rock’n’Roll/Reverence») le moment le plus précieux d’un set extrêmement lourd de conséquences. Bim bam boum, on prend les mêmes et on recommence. Le rituel des petit Jésus n’a guère varié en quarante ans, si ce n’est qu’aujourd’hui Jim est gentil avec le public de Frenchies et William ne nous tourne plus le dos comme autrefois. Il vient même à la fin distribuer des set-lits et un médiator, avec un gros sourire de gamin au coin des lèvres, et là tu peux le dévorer des yeux, car c’est une vraie superstar, l’un des derniers rescapés de l’âge d’or de la civilisation.

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    Ah il faut le voir s’installer devant ses deux grosses enceintes marquées «Jesus» et surmontées de têtes Orange, il est comme d’habitude calé derrière ses deux retours et surmonté de sa tignasse exubérante de Professor Nimbus, lunettes sur le nez, baskets aux pieds, petit embonpoint et concentration de tous les instants, jamais un seul coup d’œil sur la salle, il gratte les barrés de ses Marychienneries sur sa grosse demi-caisse Gibson et déclenche de temps à autre l’enfer sur la terre («Head On», «Amputation», ah cet «Amputation» qu’on connaît si mal et qui est un vrai stormer), l’enfer, oui, car le son qu’ils sortent tous les cinq est celui d’une vraie machine de guerre moyenâgeuse, ces machines qu’on peut voir dans certains films de reconstitution historique, montées sur des grosses roues en bois et poussées par des nuées de soudards, le son des petits Jésus fait un peu cet effet-là, c’est du heavy power stormer, un phénomène qu’on croise rarement dans les salles de concert, phénomène d’autant plus alarmant qu’il est sur-saturé de légende. Ils naviguent exactement au même niveau que les Pixies, car leur set grouille de hits, ceux déjà cités, et puis tu as cette version magique de «Darklands» en début de rappel qui vient te knock-outer la tirelire à coups d’I’m going to the darklands/ To talk in rhyme/ With my chaotic soul, et là t’es fier de chanter en chœur avec le héros Jim, les lyrics sont une absolue merveille de perfection stylistique, Jim y va au God I get down on my knees/ And I feel like I could die/ By the river of disease, ce sens de la mélodie surnaturelle vient en droite ligne de Totor et de Brian Wilson, les frères Reid se sont hissés à ce niveau-là, qui est en matière d’art composital le plus haut, pareil avec la volée de bois vert d’«I Hate Rock’n’Roll», tu ne te lasses pas de cette violence visionnaire et de cette faramineuse irrévérence d’I love the BiBiCi/ I love it when they’re pissing on me/ And I love MTV/ I love it when they’re shitting on me, ils n’ont rien perdu de cette niaque écossaise qui est un peu le fondement de leur légende.

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    Et tu as cet enchaînement de quatre smashes qui te laisse complètement hagard : le «Cracking Up» tiré de Munki, suivi de «Some Candy Talking (inespéré), puis d’«In A Hole» et d’un «Sidewalking» qui te ramène à l’origine des temps, quand les petits Jésus régnaient sur la terre comme au ciel. Tu ne peux pas échapper à cette emprise, à cette autorité tutélaire, à ce pouvoir magique. Jim Reid a raison de rappeler que les Mary Chain sonnent comme les Mary Chain et aucun groupe ne sonne comme eux. On va aussi le voir duetter avec une certaine Faith sur «Sometimes Always» tiré de Stoned & Dethroned, puis sur «Just Like Honey», qui est un peu le cut prince de l’imparabilité des choses - I’ll be your plastic toy/ For you - L’ironie de toute cette histoire, c’est qu’ils prennent un malin plaisir à jouer TOUS les cuts ratés de Glasgow Eyes ! Aucune trace d’«American Born» ni de «Girl 71».

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    En guise de cadeau d’adieu, ils nous embarquent dans une version longue et bien psyché de «Reverence», avec un Jim qui nous refait le coup du crucifié - I wanna die on a sunny day/ I wanna die just like J.F.K./ I wanna die in the U.S.A. - Tout cela rimait à la fois magnifiquement et outrageusement. La magie est intacte. On dirait qu’ils n’ont pas vieilli. Nous si.

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             Si tu écoutes Glasgow Eyes à jeun, tu vas hurler. Tout le début de l’album ressemble à un gros foutage de gueule. Les frères Reid ont toujours eu un faible pour la provocation, et là ils se surpassent. Ils attaquent avec des machines. Si tu veux retrouver la folie sonique du «Write Record Release Blues», il te faudra repasser un autre jour. Par contre, la situation s’assainit avec «American Born». C’est un hit, une vraie Marychiennerie. Haut niveau d’homicide et de river side. Le «JAMCOD» qu’on croise plus loin est trop electro, mais chanté à la Mary Chain. Pur produit du terroir écossais, avec des éclairs de poux sauvages. On croise encore d’autres Marychienneries rampantes comme «Pure Poor» et bizarrement, William Reid est en retrait. Il gratte juste ce qu’il faut. Il faut attendre «The Eagles & The Beatles» pour renouer avec le big time. Hommage aux Stones, ils riment Brian Jones avec Rolling Stones. Mais ça redéconne avec ce «Silver Strings» trop electro-pop, ça ne va pas du tout, c’est de la mormoille à la mode. Alors ils se reprennent avec «Chemical Animal», une Marychiennerie écrasée de torpeur - To help production/ I don’t show - Et c’est vers la fin que les frères Reid se réveillent avec «Girl 71», monté sur des vieux accords de pop gaga. Retour aux sources ! Enfin ! Ce sont des accords connus avec du tut tut derrière. Classique, certes, mais le charme des frères Reid fait toute la différence. Et ils terminent cet album accueilli à bras ouverts avec «Hey Lou Reid», un heavy stash de stouch, il pleut de la Marychiennerie comme vache qui pisse, cette fois ça riffe au bassmatic de tronitrue, ça troue le cul du cut, ça t’expurge les fondations, ça te riffe bien le gras du bide. Gros pied de nez au rock moderne.

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             Jim Reid ne fait pas de déclarations fracassantes au micro de Johnnie Johnstone. Le chapô nous rappelle que les deux frères vivent séparés par un océan, Jim sur la côte anglaise et William en Arizona. Johnstone aime bien Glasgow Eyes qu’il qualifie de «ragged and glorious, filthy and beautiful, and as faithful as ever to the limitless potential of rock’n’roll». Il flashe lui aussi sur «American Born» qu’il qualifie de «bruised sludgfest» et sur «Hey Lou Reid» «which metamorphoses from a turgid Sister Ray pastiche into an ambiant blues hymn.» Et il conclut par cette phrase qui résume tout le paradoxe des petits Jésus : «It’s as vital as anything they’ve ever done.» Puis ceci qui dit à quel point il sonne juste dans son propos : «Over the last 40 years, perhaps only Spiritualized and The Brian Jonestown Massacre have shown a similar degree of imagination in recycling the same three chords.» Si c’est pas l’hommage suprême, alors qu’est-ce c’est ? Il dit même qu’un mauvais album des Mary Chain est impensable. Il les qualifie encore d’«evangelists of the new-cassicist rock’n’roll» et d’«indie arbitrers of good taste». Puis Jim Reid prend la parole et ça devient encore plus intéressant. Il situe bien les choses, rappelant que la musique dans les années 60 et 70 «était cohérente et avait du sens» - The blues. Chuck Berry. The Rolling Stones - Puis ça a déconné dans les années 80 - Suddenly we’ve got Kajagoogoo - Il parle aussi de la une du NME avec Kid Creole & The Coconuts. Alors William et lui se regardent et décident de réagir : «Right, enough’s enough.» Bien sûr le punk, mais Jim rappelle qu’en 1982, on ne pouvait pas écouter Radio 1 plus de 10 minutes sans gerber. Ils ont alors tous les deux la naïveté de croire qu’ils peuvent sauver le rock. Mais Jim dit aussi qu’à l’époque on commençait à enfermer le rock dans un petit ghetto, comme on l’avait avant avec le jazz. Puis il re-raconte l’histoire des Mary Chain, les 5 ans de préparations dans leur petite piaule d’East Kilbride, le chaos des premiers concerts à Londres, Bobby Gillespie et Allan McGee, puis les sets de 20 minutes max, le premier single, «Uspide Down» enregistré chez Pat Collier qui veut les faire sonner comme Dire Straits, heureusement, William remixe le single, ouf, ils l’ont échappé belle ! Puis pour éviter de faire Psychocandy II, ils enregistrent Darklands, le chouchou des fans. Ils ne voulaient pas devenir les Ramones qui selon Jim pondaient toujours le même album - a formula - Dans les années 80, Jim dit avoir aimé Felt, The Fall, les Bunnymen, My Bloody Valentine - The Cocteau Twins are one of the best bands ever. So influential - Il adore aussi Nirvana. Mais les Mary Chain veillaient à sonner comme les Mary Chain, and nobody else did. Puis la question porte sur Bobby Gillespie auquel les frères Reid on proposé le «full time job, but he politely declined.» Il voulait rester dans Primal Scream. Alors Johnstone branche Jim sur la dance music d’Automatic qui a suivi le départ de Bobby. Jim corrige le tir : la Soul et le funk oui, Aretha, Motown et Funkadelic, electronics, oui, Suicide, Kraftwerk, «but the rave or dance scene just didn’t do it for us.» Incompatible. Ils racontent aussi qu’au moment de l’enregistrement de Munki, William et lui ne se parlaient plus. Et pourtant, quel big album ! Johnstone le branche ensuite sur l’aspect financier des choses. Jim ne se plaint pas, il ne roule pas sur l’or et ne sait pas trop d’où vient le blé, mais il précise toutefois qu’il vient essentiellement de Psychocandy et de «Just Like Honey».

             Puis c’est l’encadré fatal : Jim salue ‘the Other classic rock debuts’, à commencer par The Velvet Underground & Nico - A blueprint for a type of music thant hadn’t been invented, and obviously a huge influence on the Mary Chain - Et il conclut en disant que le Velvet est aussi important que les Beatles et les Stones. Et crack, il enchaîne avec The Stooges - Ahead of its time - Et il ajoute, l’œil brillant : «It was punk rock before punk rock existed. It’s totally timeless. It would sound perfect in any decade.» Et crack New York Dolls - The punk rock Rolling Stones. The standard of songwriting is incredible. Every song could have been a single - Et crack Never Mind The Bollocks - There was no cooler person on the planet than Johnny Rotten in 1977. He was the role model. Every single song is great - Il cite aussi Suicide, The Smiths et il finit avec The Stone Roses, qui ne l’a pas convaincu à la première écoute, «because I thought it was really retro, so what’s the point?». Mais il préfère Secong Coming, «the production and John Squire’s Hendrix guitar.»

    Signé : Cazengler, Mary Chiant

    Jesus & Mary Chain. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 13 avril 2024

    Jesus & Mary Chain. Glasgow Eyes. Fuzz Club 2024

    Johnnie Johnstone. You brought a weapon to our shows. Record Collector # 556 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - I walked with the Zombies last night

    (Part One)

             L’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais sur le Pont des Arts. Il fit halte à la vue d’un homme qui tournait en rond. Il faut savoir que l’avenir du rock ne supporte pas de voir les gens tourner en rond. Il part du principe que l’homme est conçu pour avancer, et non pour tourner en rond. L’immobilisme circulatoire incarne à ses yeux le comble de l’absurdité transcendantale, le summum de l’ignominie comportementale, la pointe extrême de l’abjection sinusoïdale. L’avenir du rock ne dispose pas d’assez d’épithètes pour qualifier ce contresens. Plus il y pense et plus il en frissonne de dégoût. Chaque fois qu’il tombe sur un homme - ou pire encore, une femme - qui tourne en rond, il tente de le remettre sur le droit chemin. Mais ce jour-là, il fut confronté à un cas beaucoup plus grave. L’homme tournait en rond avec le regard fixe. Il semblait redoubler de perdition, son errance circulatoire flirtait avec le fantastique. L’homme semblait donner du sens à sa perdition, il semblait sortir des pages de L’Écran Démoniaque, cette vieille bible de Lotte Eisner qu’on feuilletait autrefois en rêvant de se faire sucer par des goules casquées et frigides. S’imaginant pouvoir sauver le pauvre hère, l’avenir du rock s’approcha de lui et lui murmura d’une voix compatissante :

             — Voulez-vous que je vous indique le chemin de Damas ?

             Le sombre tournicoteur lança d’un ton sec :

             — Pierre qui roule Damas pas mousse !

             L’avenir du rock en fut interloqué :

             — Vous êtes moins demeuré qu’il n’y paraît ! Vous êtes encore capable de contrepéter. Mais enfin, me direz-vous pourquoi vous tournez en rond ?

             — Je m’appelle Jacques Tourneur !

             — Ah c’est vous ? Vous connaissez les Zombies, alors ?   

     

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             Ce ne sont pas les Zombies de Jacques Tourneur qui reviennent dans le rond de l’actu, mais les autres, les Zombies d’Angleterre. Les voilà de retour parmi les vivants avec un superbe album, Different Game. Pochette marrante : leur van tombé en panne sur la route est monté sur la plate-forme d’une dépanneuse, et ils sont tous là derrière, les Zombies, à regarder. Ils attaquent leur morceau titre d’ouverture de bal au shuffle d’orgue. On se croirait chez Procol. Rod rôde toujours dans le coin. En plus, Colin Blunstone chante vraiment comme Gary Brooker. C’est aussi explosif que du grand Procol avec en plus du chien de la chienne. Fantastique ambiance. Les Zombies ont de la légendarité à revendre. Blunstone te transcende tout ça au power pur. Quelle surprise ! On ne s’attendait pas à un tel ramdam, surtout quand on voit le portrait de Blunstone en ouverture du Mojo interview : il frise les 80 balais, ça se voit sur son visage, mais il a toujours cette magnifique tignasse de jeune coq. Jim Irvin qualifie cette tignasse de surprisingly luxuriant. On le sent même fasciné par Blunstone : «His voice youthfull and soft-spoken - is charming company.» 

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             Et ça continue avec «Dropped Reeling & Stupid», Rod Argent y groove le funk. On a là le meilleur groove de funk d’Angleterre depuis Georgie Fame et Graham Bond. Avec ça, tu as tout l’avenir du rock devant toi, la densité de ce groove est extrême et Blunstone chante au sommet d’un très vieux lard. Encore un coup de génie avec «Rediscover». Il faut se souvenir que les Zombies sont des magiciens, et ils n’ont pas perdu la main. «Rediscover» sonne comme un heavy balladif d’exception, ils montent le rock anglais à coups d’harmoniques et Blunstone t’éclate tout ça vite fait. Il te reste encore trois énormités à savourer : «Runaway», «Merry-Go-Round» et «Got To Move On». Les Zombies savent très bien casser la baraque. Ils déblaient tout sur leur passage et Blunstone n’en finit plus de chanter comme un cake. Rod te pianote le «Got To Move On» à la British-mania et ça vire Zombie dance ! Dans la kro qu’il fait de l’album pour Uncut, Nick Hasted compare les Zombies à Steely Dan, qui sont des chouchous de Blunstone et de Rod Argent. Blunstone : «There’s always been a jazz element in Zombies music.»

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             Jim Irvin rappelle que les Zombies étaient pre-Beatles et qu’ils sont montés pour la première fois sur scène en 1961. Puis ils ont trimballé leur look d’intellos, un peu comme Manfred Mann. Blunstone avoue qu’ils ont souffert de cette image, car les gens préféraient les groupes plus dangereux - Pirates and brigands - Blunstone raconte aussi l’extraordinaire histoire de l’enregistrement de «She’s Not There», leur premier hit, au studio Decca de West Hampstead. L’ingé-son est complètement ivre et tombe dans les pommes. C’est son assistant Gus Dudgeon qui prend le relais et qui entre dans la légende, en même temps que les Zombies. Blunstone raconte l’histoire des Zombies avec un luxe de détails extraordinaires. Il évoque par exemple les fameux package tours de l’époque avec les Searchers - Les gens ont tendance à l’oublier, mais les Searchers étaient à l’époque le deuxième grand groupe anglais - et puis les Isley brothers, Dionne Warwick - Que de magnifiques artistes à voir sur scène depuis les coulisses ! - Il parle d’un ton très juvénile, on se régale de l’écouter, il y a du Brian Wislon en lui - We were 18 and 19 years old from St Albans, on n’avait joué qu’au local Working Men’s Club et on se retrouvait à l’affiche avec ces merveilleux artistes - Oui, il a raison, Colin Blunstone, de s’extasier. «Ronnie Isley !», s’exclame Jim Irving. Alors Blunstone saute en l’air : «Probably my favourite singer of all.» Irvin rappelle aussi que Tito Burns était l’agent des Zombies - Yes, a very powerful figure - Irvin commence à tourner autour des histoires de blé. Blunstone botte en peu en touche. Il se contente de constater qu’au bout de trois ans de tournées et de hits, il n’avait pas un rond en poche. Les seuls qui avaient du blé étaient les deux compositeurs, Rod Argent et Chris White. Puis ils ont enregistré Odessey & Oracle, un album culte, mais pas très commercial. Alors les Zombies ont splitté. Financièrement, ça ne pouvait pas tenir. Rod et Chris sont allés monter Argent. En désespoir de cause, Blunstone va reprendre un job dans les assurances - Desperation. I just needed money - Et puis bien sûr la carrière solo. Blunstone commence à écrire des chansons, après tout pourquoi pas ? Il dit bien aimer son album One Year et pense qu’Ennismore et Journey auraient pu être meilleurs. Quand Irving lui dit qu’on qualifie sa voix d’«inherently sad», Blunstone répond : «It possibly is true.» Il ajoute en éclatant d’un rire de vieux pépère qu’il est connu comme étant un «romantic balladeer».  

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             On sort One Year de l’étagère. L’album date de 1971 et c’est là que se niche ce coup de génie qu’est «Caroline Goodbye». C’est une renversante merveille mélodique, un hit de murmure énamouré, digne des grandes heures de Brian Wilson. Blunstone chante avec la voix de Nick Drake, suivi par la guitare d’Alan Crosthwaite et une orchestration de rêve enveloppe le tout. Il chante un peu son «She Loves The Way They Love Her» d’ouverture de balda à la Motown. Rod Argent et Russ Ballard jouent aussi sur ce swing léger et subtil. Belle surprise, en tous les cas. «Misty Roses» sonne quasi Brazil, encore une petite merveille d’aisance, soutenue par Alan Crosthwaite à l’acou magique. Mais certains morceaux orchestrés aux cellos plongent l’album dans des ambiances plus lugubres («I Can’t Live Without You» et «Smokey Day»). Dommage car Colin Blunstone semble y perdre son âme. Il refait son Nick Drake sur «Let Me Come Closer To You». C’est assez frappant, car il chante avec le même timbre d’étain laiteux, avec la même eerie d’airy à la dérive. Il termine avec «Say You Don’t Mind», une belle pop d’allant orchestral. Comme il bénéficie d’un gros soutien moral, il peut donner libre cours à ses échappées belles. Colin Blunstone ? Un symphoné dans l’âme, un syphoniste d’élite, un sibyllique allaité, un simili Malher de symphonie inachevée.

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             Il revient aux affaires en 1972 avec Ennismore, toujours sur Epic. Très belle pochette, diable comme Colin était beau ! Par contre, le balda n’est pas jojo. Il annonce avec «I Don’t Believe In Miracles» qu’il ne croit pas aux miracles, ça tombe bien, nous non plus. Il tape cinq cuts de petite pop. Il ne prend jamais d’assaut, il se contente d’imposer gentiment sa présence. «I Want Some More» sonne comme une belle pop raffinée, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Pay Me Later», plus rockalama, quasi glam. Quel rebondissement ! On accueille son glam à bras ouverts. Il y a du son, logique, car c’est produit par Rod Argent. Et voilà le miracle tant attendu : «I’ve Always Had You», cut délicat et raffiné, à peine orchestré, Colin remplit l’espace d’une voix chaude. Ça n’a l’air de rien au premier tour, mais après le break instro, le thème revient et ça devient furtivement magique. Sur «Time’s Running Out», il sonne comme Nick Drake, intime et vert comme la mousse des bois. Même imposition. Il termine avec «How Could We Dare To Be Wrong», une pop terriblement envahissante, au sens du lierre. Il pratique l’art de l’universalisme, il vise une certaine forme de clameur chaleureuse, il ne fait qu’étendre son bel empire. 

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             Paru deux ans plus tard, Journey bascule facilement dans l’ennui. Blunstone refait son Nick Drake avec «Keep The Curtains Closed Today». On le voit ensuite muscler le son avec «Weak For You», mais c’est un cœur tendre. Comme tous les Anglais, il sait fort bien tempérer ses efforts. Sa pop reste une pop extrêmement soignée, sa voix porte bien. On sent quelque chose de bienveillant chez cet homme. Avec «This Is Your Captain Calling» en ouverture de bal de B, il va plus sur les Beatles, avec des petits élans de Sgt Pepper. Il revient à sa chère pop intimiste avec «Setting Yourself Up», une pop intimiste qu’on voudrait géniale et qui ne l’est pas. Honnête et avenante, oui, mais géniale, non.     

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             Dans Shindig!, Thomas Patterson lui consacre 5 pages d’interview. Pour évoquer les Zombies, bien sûr, mais surtout la période Epic de Blunstone solo. Patterson se dit troublé par le côté unusual du Zombies’ initial musical setting, alors Blunstone a cette très belle formule : «We were taking influences from classical music, modern jazz, R&B, the blues, rock’n’roll and pop, and that’s what made our music so different.» Patterson fait aussi remarquer à Blunstone que les Zombies étaient plus populaires aux États-Unis qu’en Angleterre. Ça fait bien marrer Blunstone qui rappelle qu’en 1967, au moment de splitter, les Zombies se croyaient unsuccessful. Et puis le fait de ne pas être populaire en Angleterre l’arrange bien : il peut aller faire ses courses au supermarché - I’m trying to think on the bright side! - Blunstone revient sur les raisons du split en 1967 : «It ended up with three non-writers, after three years of constant touring around the world with many hit records, having absolutely no money.» Il parle d’un «management company that was slightly questionable». Il fallait donc retourner bosser, we didn’t have a choice. Le producteur Mike Hust entre ensuite en contact avec Blunstone et l’incite à démarrer sa carrière solo. Il va enregistrer One Year avec Rod Argent et Chris White «at Abbey Road Studio Three. Peter Vince enginering. Exactly the same as Odessey & Oracle. Il felt really good recording in this situation again.»  

    Signé : Cazengler, Zombre crétin

    Zombies. Different Game. Cooking Vinyl 2022

    Colin Blunstone. One Year. Epic 1971

    Colin Blunstone. Ennismore. Epic 1972

    Colin Blunstone. Journey. Epic 1974

    Jim Irvin : the Mojo interview. Mojo # 356 - July 2023

    Thomas Patterson : The voice of reason. Shindig! # 123 - January 2022

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Eleven

             Oh bah dis donc ! Un spécial Elvis déboule dans la boîte aux lettres ! Un de plus ? On aime bien Elvis, mais bon, la messe est dite depuis les deux volumes de Peter Guralnick (Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley). Lus deux fois, en plus. Deux fois ? Oui, la trouille d’avoir raté un passage important ! C’est un mélange de trouille d’avoir raté des trucs et de plaisir à relire qui motive les relectures. Est-ce Léautaud qui dans le micro de Robert Mallet s’exclamait de son atroce voix de fausset : «Non môsieur, je ne lis pas, je relis !». Sais plus. Léautaud ou un autre, quelle importance, après tout ? On ira vérifier ça un autre jour. Revenons pour l’heure à ce Hors Série de Rockabilly Generation.

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             Il se lit d’un trait d’un seul. Cul sec. Julien Bollinger reprend toute la période 1955-1958, qui va de la signature du contrat RCA jusqu’au départ à l’armée. Après un chapô qui fout un peu la trouille car un peu pro-Parker, Bollinger emmène son récit ventre à terre et fait quasiment du Day By Day, comme l’a fait Richie Unterberger avec le Velvet : c’est extrêmement bien documenté et rondement mené, avec du souffle. Il rend hommage à cet artiste extraordinaire que fut Elvis, en ciblant bien les coups de chance et tout le travail de sape qu’a mené le Colonel pour faire d’Elvis une superstar cousue d’or tout en le castrant artistiquement. C’est sans doute la plus grande tragédie des temps modernes. Le parallèle que dresse Bollinger avec Robert Johnson est maladroit, car l’histoire du crossroad est une légende impossible à vérifier, mais surtout éculée par tant d’abus, alors que la faillite artistique d’Elvis n’est pas une légende. Elle est bien réelle. Tous les fans de la période Sun d’Elvis sont inconsolables depuis plus de soixante ans. 

             Pour illustrer le thème de la faillite artistique, on va suivre les recommandations que donne John Floyd à la fin de son brillant Sun Records : An Oral History : il dresse la liste des albums d’Elvis «indispensables». On appelait ça autrefois la liste des commissions. Rien à voir avec la période incriminée par Bollinger, mais ça donne une idée assez juste de ce qui va se passer après le retour de l’armée et l’entame de cette fameuse «carrière hollywoodienne». Alors on a pris un caddy et on est allé faire des courses. Étrange mélange de bonnes et de mauvaises surprises !

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             La liste des commissions commence avec ce qui est certainement l’un des meilleurs albums d’Elvis de la période post-Sun : Spinout, paru en 1966. On y trouve «I’ll Be Back», un groove digne de toutes les supériorités. Il faut voir Elvis groover son Back. Il n’est pas un King pour rien. Globalement, Spinout est un album de mid-rock extrêmement bien foutu, superbement orchestré et enrichi par les chœurs des Jordanaires. Un batteur extraordinaire joue en contre-bas d’«Adam & Evil» et de «Never Say Yes». Elvis s’amuse bien avec ses musiciens. Le Spinner King est à l’apogée de son âge d’or, semble-t-il, let’s spin it out ! Belle surprise aussi que ce «Smorgasbord» assez rock’n’roll. Elvis fait aussi du blues du delta avec «Tomorrow Is A Long Time». Il ultra-chante. On le voit aussi flirter avec le gospel dans «Down In The Alley». C’est infiniment respectable. 

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             From Elvis In Memphis est encore l’un des meilleurs albums d’Elvis de la période post-Sun. Il faut voir dans cette réussite la patte de Chips Moman. Dès «Wearin’ That Love On Look», on sent le Memphis beat sous les nappes de gospel d’orgue. On entend même Reggie Young. Elvis se tape une belle tranche de balladif avec «Long Black Cadillac». Aidé par des filles superbes, il porte sa Cadillac à bouts de bras. Il boucle son balda avec une version superbe d’«I’m Movin’ On» et Reggie Young gratte dans les entrelacs. C’est ultra-cuivré, joué au débotté d’American, avec la basse de Tommy Cogbill dans le solo. Elvis repart de plus belle en B avec «Power Of My Love», un heavy groove de Memphis et passe à la pop magique avec «Gentle On My Mind», un hit digne de Fred Neil. C’est là où il redevient le King. Dommage que ses autres albums RCA ne soient pas de ce niveau. C’est dingue comme il accroche bien son Gentle. Chips ramène une trompette sur le tard. Encore de la pop extrême d’American avec «Any Day Now». Il faut saluer cette prod d’orchestration très ambitieuse. Elvis termine avec «In The Ghetto» et voilà le team Elvis & Chips à son apogée. 

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             Enregistré à Vegas en 1970, On Stage permet de voir Elvis collectionner les covers, à commencer par un rutilant «See See Rider». Quelle machine ! On peut dire que ça rutile derrière Elvis. Il tape plus loin dans «Sweet Caroline». Bon c’est de la variété, mais Elvis chante si bien qu’il nous fend le cœur et qu’on lui pardonne. À Vegas, il fait en fait une sorte de best of de petite pop royale, avec «Runaway» et en B, «Polk Salad Annie», «Yesterday» et «Proud Mary». Il roule une belle pelle à McCartney avec «Yesterday» et on imagine que John Fogerty et Tony Joe devaient éprouver une sacrée fierté à voir Elvis chanter leurs compos respectives. 

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             Même si on adore ce chanteur parfait qu’est Elvis, la plupart des albums parus chez RCA flirtent beaucoup trop avec le mainstream américain.  On ne peut pas s’empêcher de penser à ce que serait devenue sa carrière si on lui avait confié des grandes chansons. Sur That’s The Way It Is, il tape par exemple une version magique de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Il la prend par en dessous pour ne pas être obligé de monter aussi haut que Bobby Hatfield. On l’entend aussi faire des merveilles avec «Stranger In The Crowd», un folk-rock digne des grandes heures de Fred Neil.

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             Paru en 1971, Elvis Country sort un peu du lot, notamment grâce à des cuts charmants comme «Little Cabin On The Hill», joli country-rock qui ne traîne pas en chemin, ou encore «Funny How Time Slips Away», véritable Beautiful Song. Il rocke son stock avec une belle version de «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On», et en B, il revient à l’angélisme avec «It’s Your Baby You Rock It». Il fait encore des merveilles avec «Fadded Love», fantastique élan de soft-rock, puis il emmène «I Washed My Hands In Muddy Water» ventre à terre. C’est du big Elvis.

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             Il faut aussi écouter Elvis Now pour deux raisons : un, «Fools Rush In», car on y entend la voix de Dieu. Deux, «I Was Born About Ten Thousand Years Ago», car c’est du gospel batch avec tout le power qu’on peut imaginer. Il tape aussi une belle croupière à «Hey Jude» et règne sans partage sur «Put Your Hand In The Hand». Mais on voit des choses basculer dans l’opérette hollywoodienne, comme par exemple ce «We Can Make The Morning» grandiloquent. Elvis chante ça le torse bombé, face au ciel. Il parvient cependant à sauver «Early Morning Rain». La voix, rien que la voix.

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             Par contre, on ne sauve pas grand chose sur Good Times, paru deux ans plus tard. RCA a réussi à transformer Elvis en bonbon à la menthe. Il faut attendre «Talk About The Good Times» en bout de B pour trouver un peu de viande. Elvis boucle son pauvre Good Times avec un «Good Time Charlie’s Got The Blues» assez envoûtant.

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             La série des mauvais albums se poursuit avec Promised Land. On y trouve du croon de charme chaud («Help Me»), du balladif rococo («Mr. Songman») et de la heavy Soul («If You Talk In Your Sleep»). Elvis Today ne vaut guère mieux. On y trouve du mélopif inexorable («And I Love You So»), de romantisme meringué («Pieces Of My Life») et on comprend assez vite qu’il ne se passera rien de plus sur cet album. Il termine heureusement avec une version de «Green Green Grass Of Home» aussi envoûtante que celle de Jerry Lee.

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    On termine ce triste panorama avec Moody Blue paru en 1977, l’année de sa disparition. Il monte très haut chercher son «Unchained Melody» et revient au mambo de l’ère Spinout pour «Little Darling». Les Sweet Inspirations l’accompagnent mais on ne les entend pas beaucoup. Le mix les répudie à la cuisine. 

    Signé : Cazengler, Elvice dans la peau

    Talking ‘Bout My Generation - Part Eleven

    Elvis Presley. Spinout. RCA Victor 1966

    Elvis Presley. From Elvis In Memphis. RCA Victor 1969

    Elvis Presley. On Stage. RCA Victor 1970

    Elvis Presley. That’s The Way It Is. RCA Victor 1970

    Elvis Presley. Elvis Country. RCA Victor 1971

    Elvis Presley. Elvis Now. RCA Victor 1972

    Elvis Presley. Good Times. RCA Victor 1974

    Elvis Presley. Promised Land. RCA Victor 1975

    Elvis Presley. Elvis Today. RCA Victor 1975

    Elvis Presley. Moody Blue. RCA Victor 1977

    Rockabilly Generation Hors Série # 5 - Elvis Presley 2024 - Partie 2

     

     

    Inside the goldmine

    - Spyder Man

             Petit, brun, Charb offrait au regard le spectacle d’une physionomie enjouée, à peine voilée par un soupçon d’inquiétude permanente. Il louvoyait comme les autres dans ce monde ingrat, au mieux de ses possibilités. Son principal handicap était un état d’esprit atrocement conventionnel. Il mettait beaucoup trop de temps à prendre des décisions et s’insurgeait dès qu’on lui proposait d’enfreindre les lois. Dans un équipage, ce type de comportement peut vite poser des problèmes. Lorsque par gentillesse on lui conseillait de mettre un peu d’eau dans son vin et de nous faire confiance, il se hérissait, arguant qu’il n’accepterait jamais d’infléchir son propre code de moralité, et pour clore le débat, il rappelait à qui voulait bien entendre qu’il n’avait pas demandé à faire partie de cet équipage. C’est parce qu’on l’avait contraint et forcé à monter à bord qu’il redoublait d’obstination vertueuse. Il fallut bien lui trouver une occupation, puisqu’il refusait de participer aux expéditions. Il accepta le rôle de trésorier qu’on lui proposait. Au moins, cette honnêteté bornée servirait à quelque chose. Il s’appliqua à la tâche, comptant et recomptant le fruit de nos rapines. Il tenait ses livres et dormait avec pour être sûr que personne n’irait les trafiquer. Un jour, il osa défier le capitaine, arguant que la double part qu’il s’octroyait constituait une injustice, et en paiement de son plaidoyer, il reçut en pleine bouche un coup de barre à mine qui fit gicler toutes les dents de devant. On lui avait pourtant recommandé la prudence. Personne à bord n’était habilité à porter des jugements. Charb alla cacher sa honte dans la sous-pente qu’il occupait pour dormir et se tailla quelques dents en bois qu’il ajusta tant bien que mal. Comme son code de moralité lui interdisait de nous dénoncer aux autorités, Charb préféra se pendre pour laver un honneur dont l’absurdité l’avait conduit à l’impasse. On le trouva pendu dans les vergues, les yeux dévorés par des oiseaux de mer.

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             Ce fut un choc que de découvrir Spyder Turner sur la pochette de son premier album, Stand By Me. Charb et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, même si Charb est blanc, alors que Spyder est black. Il se pourrait fort bien que Spyder Turner soit la réincarnation de Charb. Il n’y a d’ailleurs aucun doute dans l’esprit de ceux qui ont bien connu le pauvre Charb.

             Comme Yvonne Fair, Rose Royce et The Undisputed Truth, Spyder Turner est un protégé du grand Norman Whitfield. Après avoir quitté Motown, Norman Whitfield est allé monter son label, Whitfield Records. Les deux albums de Spyder Turner sont donc parus sur ce label, la même année, en 1978.

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             Le premier s’appelle Music Web et bénéficie d’une belle pochette illustrée. Crâne rasé, regard clair, anneau à l’oreille, torse nu, Spyder tient dans chaque main une comète en feu. Le hit de l’album se planque au fond de la B : «Reincarnation». Spyder flirte avec le génie funk. Superbe attaque rythmique, c’est d’une modernité à toute épreuve. Mais dès «Get Down», il est là. Fantastique présence ! Il sait aussi groover comme un cake («Is It Love You’re After») et flirter avec la heavy Soul des Tempts («I’ve Changed»). Il clôt son balda avec la belle Soul bien charpentée de «Stop». Il joue de la basse, il relance à la Tempts avec des attaques dignes de celles de Larry Graham. Il revient en B avec «I’ve Been Waitin’», une jolie prestation de power man. Tout est puissant sur cet album, bien monté aux gémonies. Ne manquent que les hits. 

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             S’ensuit Only Love, un album un peu plus ambitieux. On s’amourache vite fait d’«I Just Can’t Stop Loving You», une belle Soul élégante gorgée de dynamiques, dans l’esprit de Shaft. Ça aurait dû devenir un hit. Spyder prend parfois un air hautain qui lui va bien. Avec «Let’s Rock (Until We’re Satisfied)», il développe un power à la Edwin Starr. Mais c’est avec «There’s No Love (Without You)» qu’il déploie ses ailes : il mêle la classe au power poitrinaire et devient une sorte de Spyder de la guerre. Il finit par imposer un style en s’appuyant sur un diskö beat («You Cant Always Count On Me»), mais ça passe bien. Il boucle cette bien bonne B avec «You’re So Fine», une fast Soul bienvenue. Spyder connaît toutes les ficelles de caleçon, il sait jerker une Soul et Norman Whitfield veille bien au grain de la prod, il envoie les violons quand il faut. Quelle puissance ! Un Spyder + un Norman, ça donne de fort beaux disks. 

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             Avant d’enregistrer avec Norman Whitfield, Spyder Turner avait entamé une carrière solo, comme en témoigne Stand By Me, paru sur MGM en 1967. Ah il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie le morceau titre où il rend hommage à tous les géants de la Soul en imitant leurs voix, il enfile les exercices de style comme des perles, Ben E. King, Sam Cooke, Chuck Jackson, il yodelle comme Jackie Wilson, Spyder est un puissant seigneur - Smokey Robinson might say, the late Sam Cooke might say, Billy Stewart might say, David Ruffin of the Temptations might say, Eddie Kendricks of the Temptations might say, Melvin Franklin of the Temptations might say, James Brown might say wwwwooogghhhh I feel good ! - Il enquille ensuite une puissante cover d’«Hold On I’m Coming», il fait Sam & Dave à lui tout seul, Spyder est un battant, il chante «I Can’t Make It Anymore» pied à pied, puis il tape un «Moon River» de rêve, il swingue son huckleberry friend. Encore un chef-d’œuvre en B avec une cover du fantastique «I Can’t Wait To See My Baby’s Face» signé Chip Taylor et Jerry Ragovoy, déjà repris par Aretha, Baby Washington et Dusty chérie. Cet album de Spyder est somptueux. Il met encore le cap sur l’horizon de la Soul avec «Morning Morning». On comprend que Norman Whitfield ait louché sur lui. 

    Singé : Cazengler, Spyderogatoire

    Spyder Turner. Stand By Me. MGM Records 1967 

    Spyder Turner. Music Web. Whitfield Records 1978

    Spyder Turner. Only Love. Whitfield Records 1978

     

     

    Clic clac Kodak

             Dans un concert, tu as cinq catégories sociales : le groupe, les techs à la console, ceux qu’on appelle les bouncers en Angleterre, c’est-à-dire les mecs de la sécurité, le public, et les photographes. Comme les autres, les photographes font partie du show. Équipés de leurs gros téléos, ils hantent les fosses, se livrant à leur petit safari d’images. Tu en as qui mitraillent et d’autres plus tatillons qui vérifient d’un œil circonspect chaque image sur le petit écran de contrôle au dos du boîtier. Jusqu’à une certaine époque, dans les grandes salles, on leur autorisait l’accès à la fosse le temps des trois premier cuts, après ils devaient dégager, chassés par des bouncers bien musclés. À force de voir les mêmes photographes shooter des images dans tous ces concerts, on finit par les saluer, puis, si l’occasion se présente, on échange quelques mots, par exemple dans le long temps d’attente qui précède le coup d’envoi. On évoque des tas de concerts passés et on évoque ceux à venir. Les groupes qu’on aime bien et ceux qu’on déteste. On confronte des points de vue. On échange des infos. On cale des dates. Ah tiens, savais pas. Où ça ? Dans un bar ? Ah bon ! Ben dis donc ! Tiens file-moi ton numéro, j’t’envoie le lien. Et pouf, t’as une nouvelle date. T’es content, t’es pas venu pour rien.

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             Ceci dit, on ne se connaît pas plus que ça. Il a ses potes, tu as les tiens. On se contente de partager un joli point commun : cette passion dévorante pour les concerts de rock. Et puis au détour de la conversation, il annonce qu’il a un book. T’as un book ? Il le sort de son gros sac pour te le montrer. Un gros book. Celui-là n’est pas à vendre, c’est l’exemplaire de démo. Mais j’en ai d’autres dans la bagnole. Combien ? Okay. On voit ça après le concert.

             Ah les photo-books de rock ! Chaque bibliothèque normalement constituée en accueille. On ramassait à une époque ces fabuleux photo-books chez Smith, ils te tendaient les bras, alors tu ne pouvais pas résister. Et à peine installé dans le RER qui te ramenait dans ta banlieue pourrie, tu commençais à feuilleter ces gros ouvrages qui te procuraient des chocs esthétiques à répétition. Car c’est bien de cela dont il s’agit : de chocs esthétiques. Rien à voir avec les monographies consacrées à des peintres : le photo-book de rock te secoue aussi sûrement qu’une séance d’électrochocs. Ceux qui y sont passés savent de quoi il s’agit. La photo rock fait partie de ta culture de base, Elvis et Little Richard constituent les racines de ta culture visuelle, au même titre qu’Édouard Manet et Modigliani, au même titre qu’Orson Welles ou Johnny Strabler dans the Wild One. Les icônes ornent les corridors infinis de ton imaginaire. Parmi les grands classiques du photo-book, tu as ceux de Johan Kugelberg sur les Pistols et le Velvet, le Total Chaos de Jeff Gold, le Rockabilly The Illustrated History de Michael Dregni, The Blues A Visual History de Mike Evans, le Soul Memphis Original Sound de Thom Gilbert, auquel il faut associer l’imparable Iconography Of Chance de Tav Falco, et puis tu as aussi A life On Record de Marianne Faithfull, et l’un des plus anciens, The Photography Of Rock d’Abby Hirsh paru en 1973, avec Pete Townshend en devanture. Ça finit par faire des tonnes. Mais des bonnes tonnes. Tu peux y revenir à ta guise. Feuilleter. L’effet sera le même. Choc esthétique. En quelque sorte ta nourriture de base.

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             Le photographe s’appelle Jeff Lescene. Son photo-book de rock n’est pas imprimé en Chine, mais en Normandie. Bonne qualité. Couché brillant, donc aucun risque pour le rendu. Bons équilibres et bon piqué d’images, pur jus de numérique. Au dos, tu peux lire : «1986-2021. Trente cinq ans. Des centaines de groupes. Des milliers de kilomètres. Des dizaines de milliers de photos. Une vie de concerts.»  Ça te met immédiatement en confiance. Book de fan. Jeff propose une approche complètement différente des ouvrages cités en référence : une approche moins graphique, plus documentariste. Pas de foliotage, les artistes sont classés par ordre alphabétique, à raison de 6/7 images par double, en moyenne. Il s’agit en outre d’un photo-book essentiellement «local», car la grande majorité des shoots sont faits dans des salles normandes. Pas mal de Traverse, pas mal de 106, grosse dominante d’artistes de blues et de metal, un peu d’Hellfest, des choses qui remontent aux années 90, nettement moins graphiques. Tu as aussi un brin d’Armada, et puis tiens voilà du Rock’n’Risle avec And Also The Trees, des choses que t’irais jamais voir comme Beth Hart, et d’autres que t’irais toujours voir, comme les Buzzcoks, mais c’est dommage, car on ne voit pas bien notre héros Steve Diggles, tu as aussi Boss Hog au 106, mais sans Jon Spencer, Blues Pills sans Zack Anderson, au détour d’une page tu tombes sur un pur produit local, Pelot (gloups), puis sur un Calvin Russell qui ne date pas d’hier (1991), et ce sacré coco de Coco Montoya dont Bruce Iglauer vante si bien les mérites dans son autobio. Puis voilà un peu de Bâteau Ivre, mais aussi la prog improbable de Rock’n’Risle avec Civil Civic, Carton, Cosmonauts, on se demande vraiment d’où ça sort, de nulle part, pourrait-on dire, et encore du Hellfest à gogo, même si ce n’est définitivement pas ta came. Tu t’attendais un peu à les croiser, alors les voilà les Deep Puple et les Def Lepard, gloups. Pas-ta-came pas-ta-came pas-ta-came, comme un cheval au galop, mais tu poursuis ton feuilletage, tiens voilà Fu Manchu, mais que le beurre. Oh et puis l’horreur (Guns’n’Roses), et après l’horreur, l’image (Hot Stuff, plein pot, le mec ressemble vaguement à Paul Rogers), l’image encore avec Hop Slap, hélas en tout petit, Dédé et sa stand-up bleue, quelques grammes de finesse rockab dans un monde de brutes, et puis grand souvenir : Inmates, Barentin 1991, une fête de la musique où, ivres de bonheur, nous dansions la carmagnole avec Jean-Jean. Quand Jeff rend un hommage particulier, il réquisitionne une double entière : les Jee Bees, et plus loin Marienthal, avec Gilles, qui est sans le moindre doute le meilleur guitariste «local». Et puis des gens dont on entend dire si grand bien dans les files d’attente : Jon Cleary et Johnny Gallagher. On était dans la même salle que Jeff pour quelques concerts : James Leg, Buzzcocks, James Hunter, Monster Magnet, The Last Internationale et Kadavar. L’image : Lucky Peterson, portrait en noir et blanc. Fantastique. Plus loin, la grand-mère de Little Bob, et puis voilà Lemmy plein pot en 1991 : hot shot ! L’image encore : Lanegan, en petit, dommage, cette façon qu’il a de hocher la tête méritait un plein pot, comme Lemmy. Sacré clin d’œil aux Ramines, qu’on retrouve plus loin sous la forme des Vermines, et encore plus loin, une moitié de Damned référencés Scabies & James à Rock’n’Risle, avec Texas Terri qu’on surnommait la casserole, et puis Shemekia, la fille du grand Johnny Copeland, en 2014, à la Traverse, et produits locaux encore avec les excellents Oops, et avant de refermer, tu tombes sur Wayne Kramer shooté en 1995, à Évreux. Sacré mélange, mais ça tient rudement bien la route.

    Signé : Cazengler, Cot cot kodak

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    Jeff Lescene. Une Vie de Concerts. Apimuzik 2021

     

     

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    Les nouvelles ne sont pas toujours bonnes. Longtemps que je n’ai pas regardé ce que devenait Stüpor Mentis. Une notule sur leur FB me met au courant : ‘’L'heure est à l' involution pour STUPOR MENTIS. Après 7 ans de travail acharné, 6 albums et 2 E.P, quelques concerts ici et là ; nous vous tirons notre révérence, peut-être pas définitivement mais pour quelques années ... Nous avons tenté de vous faire rêver avec nous sous le clair de lune ; maintenant nous partons hurler avec les Loups.’’  Je n’ai reproduit que les premières lignes du texte. Dans les suivantes Erszebeth ne mâche pas ses mots, certes elle remercie les rares personnes et structures qui les ont aidés mais pousse une gueulante contre l’indifférence dont toute une partie de l’underground a fait preuve à leur encontre… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas tort…

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    Grand amateur de Shelley par trois fois nous avons abordé le Prometheus Unbound de Stupör Mentis leur adaptation de la pièce (en fait un poème) du prince de la poésie romantique anglaise, voir nos livraisons 478 (01 / 10 / 2020), 495 (28 / 01/ 2021), 506 ( 15 / 04 / 2021) et incidemment la 480 (12 / 10 / 2020) consacrée aux tableaux d’Erszebeth… Pour cette fois pour ne pas trop nous éloigner de Shelley nous écouterons le :

    DARKNESS

    STUPÖR MENTIS

    (Not On Label / Décembre 2022)

    Stüpor Mentis : Audrey Bucci  (Erszebeth) / Nicolas Lordi.

             Lord Byron publie Darkness (Ténèbres) en décembre 1816 dans Le Prisonnier de Chillon et Autres Poèmes. 1816 fut une année terrible. Incompréhensiblement terrible. Les européens ne pouvaient savoir que l’obscurité qui envahit le ciel du nord de l’Europe était due à la cendre rejetée par un volcan indonésien. En plein été, certains jours il fallut allumer les chandelles…

    Nous sommes en une époque où les racines chrétiennes sont encore très fortes même si elles commencent à vaciller, le doute s’installe dans les esprits éclairés, l’on collecte de nombreux fossiles dont la datation ne correspond pas exactement avec la Genèse, premier livre de la Bible, pour la petite histoire Darwin vient de naître en 1809, cinquante après sa naissance son livre L’Origine des Espèces portera un coup mortel aux croyances théologiques, mais nous n’en sommes pas encore là, en 1816 nous vivons l’âge d’or du romantisme anglais.

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    Shelley et Lord Byron ont senti que leurs écrits et leurs frasques existentielles, malgré leur niveau social élevé, sont très mal perçus par l’establishment britannique, ils sont devenus persona non grata. Ils préfèreront s’éloigner en Italie.  Deux des trois plus grands poëtes anglais sont en exil volontaire loin de leur patrie. Ils inviteront John Keats gravement malade à les rejoindre, il refusera, ce fils d’un modeste palefrenier ressent vraisemblablement cette généreuse invitation comme un acte charitable…

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    Venu à Rome soigner sa tuberculose Keats décèdera en 1821, Shelley périra noyé dans le golfe de Livourne en 1822, dans une des poches de sa dépouille l’on retrouvera un recueil de John Keats, Byron parti se battre pour libérer la Grèce de la férule turque succombera à une fièvre des marais à Missolonghi en 1824. Pour compléter ce macabre tableau rappelons que c’est lors d’un séjour à Genève en 1816 que Mary Shelley composera le début de Frankenstein, et Lord Byron Ténèbres…

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    Ténèbres est un poème qui n’atteint pas la centaine de vers. Il fut remarqué dès sa parution. Le sujet est facile à résumer : la fin du monde. A première lecture par ses nombreuses allusions au texte de l’Apocalypse le poème semble pour un esprit distrait s’inscrire dans le droit fil de la tradition chrétienne.  A part que Dieu, le Christ, et le Diable en sont absents… Le poème est présenté comme un rêve par un individu dont on ignore tout, ce qui permettra aux commentateurs épouvantés par les conclusions nihilistes que l’on pouvait tirer du texte de prouver qu’il reste tout de même un survivant et que tout n’est pas perdu pour Dieu, car tant qu’il subsiste un homme il aura toujours besoin de Dieu pour être sauvé… Le poème fit scandale, dire que le monde n’a pas besoin d’une intervention divine pour disparaître, équivaut à décréter que la matière se débrouille toute seule pour vivre ou périr.

    Il est une autre façon d’interpréter Ténèbres, le poème ne pourrait-il pas porter comme titre : Le triomphe de la mort et être qualifié d’œuvre gothique. Entre Stüpor Mentis et Stüpor Mortis la différence est-elle si grande... La fascination de la mort, l’autre face de l’immortalité, n’est-elle pas un des centres d’intérêt du groupe qui a choisi un tel nom et l’un des thèmes préférés du mouvement romantique…

    Stupör Mentis n’a pas mis en musique l’intégralité des quatre-vingt-deux vers du poème tout en respectant le déroulement du récit.      

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    Darkness I : basse sombre, une voix chuchote, comme s’il ne fallait rien ajouter au désastre de la disparition de la lumière, des bruits, des chênes qui tombent pour le bûcher d’Hercule qui ne sera pas élevé, des moires sonores s’agitent dans l’ombre, quelque part une cantatrice de la destruction pure vocalise, serait-ce pour que le fendillement du cristal entaille le filigrane de votre âme comme le diamant  découpe la transparence du verre noir.  Darkness Ii : entrée des hommes, la voix récite expressive, elle conte comment les hommes se comportèrent en ces  instants cruciaux, comment certains acceptèrent la mort, la voix se fait dramatique, tous savent qu’ils vivent leur derniers instants, berceuses mortelles, ils sont prêts à s’entretuer pour un dernier repas qu’ils ingurgitent sans voix. Même les bruits de la musique s’apaisent. En quoi seraient-ils utiles au malheur de l’humanité…Darkness III : comme un gong perpétuel, des pleurs et des gémissements s’élèvent, les hommes sont-ils prêts à dévorer des cadavres, ils sanglotent, le désespoir du cannibalisme les étreint, mur de lamentations sans fin, dans ce spectacle de lâcheté humaine seul un chien lèche la main du cadavre de son maître, affliction canine fidèle, qui ne répond pas, et la voix se déchire en un long cri inhumain. Pleure-telle le chien abandonné à la mort ou la fin de la faim de l’amour. Cette scène est-elle inspirée à Lord Byron par le chien d’Ulysse mourant qui, vingt ans aprèss est le seul à reconnaître son maître…Darkness IV : enfin de la vraie musique serait-on tenté de s’écrier, une belle intro avec des chœurs, mais bientôt le bruitisme reprend ses droits, un des derniers épisodes du désastre, deux ennemis qui se haïssent depuis toujours, deux survivants qui essaient de s’approprier de leurs mains avides encore une ultime fois les objets sacrés les plus inutiles, la musique devient plus ample, un véritable oratorio, lorsqu’ils meurent sans s’être reconnus, réduits à l’état squelettes ambulants, l’âme morte desséchée par la haine n’est pas plus utile que l’amour.  Darkness V : je ne sais pourquoi Stüpor  Mentis use comme texte d’une citation d’Alexander Pope, poëte du début  du dix-huitième siècle, elle s’insère bien dans le poème de Byron, mais cette insertion me semble inutile, de même sur la vidéo de You Tube qui accompagne ce morceau est repris par deux fois un extrait d’un vieux film muet que je n’ai pu identifier, qui d’après moi relate un épisode de la descente de Dante, accompagné par Virgile, aux Enfers. La scène qui se veut terrible donne envie de rire. Ces condamnés totalement nus qui grouillent à terre  sont-ils  en train de miner une espèce de parade nuptiale d’un nouveau genre, jamais Eros n’a été aussi proche de Thanatos… Heureusement la musique solennelle et larmoyante, tôles agitées, tubulures grondantes, voix d’homme chuchotantes, nous persuade du contraire, l’on a toutefois du mal à s’en convaincre. Darkness VI : final, profonde obscurité, le monde s’immobilise, vague sonore crépusculaire, la voix ose à peine parler, tout est mort, le monde n’a pas disparu, l’engeance humaine oui, plus un seul mouvement - rappelons-nous que selon Aristote s’il n’y a pas de mouvement il n’y a pas de moteur immobile que le christianisme s’est dépêché d’identifier à Dieu - la lumière est définitivement éteinte, les ténèbres ont pris la place de l’univers. Or comme Dieu est lumière, vous pouvez tirer de la seule présence de l’obscurité des conclusions attentatoires à la survie de Dieu.

             Si j’avais un conseil à donner à un auditeur, ce serait de se contenter d’écouter la bande-son de ce poème imaginée par Stüpor Mentis, et de ne lire dans un premier temps uniquement le titre du poème. Les Ténèbres se suffisent à elles seules. Le mot pour peu que l’on y réfléchisse trente secondes est porteur des peurs les plus noires. Les mots et les vers de Byron n’apportent rien de plus au récitatif musical et vocal.

             Ou vous lisez le poème, ou vous écoutez la transcription phonique. Poésie et Musique ne s’apportent rien. Elles se ne communiquent pas, elles restent dans leur quant-à-soi, dans leur solitude, dans leur impénétrable et inaltérable virginité. Toutes d’eux d’une intrinsèque et inégalable beauté. Parfois l’Unicité ne saurait être phagocytée par la Totalité.

    Damie Chad.

    *

    Le rock’n’roll est un poulpe vicieux.  Poulpe parce qu’il possède huit tentacules comme l’affirment les traités savants sur l’anatomie des animaux des fonds marins, vicieux parce qu’il ne s’en sert pas comme tout poulpe qui se respecte, par exemple celui qui attaque le Nautilius du Capitale Nemo dans Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, une bestiole tout ce qu’il y a de plus honnête, elle vous enserre dans ses ventouses pour vous bouffer d’un seul coup, vous passez un mauvais quart d’heure, mais après c’est fini, et bien fini. Elle vous laisse tranquille.

             A priori le poulpe du rock’n’roll est plutôt amical. Sympathique même. Se sert de ses tentacules pour vous induire en erreur : tiens écoute ce truc, c’est super ! tu es au courant de ce bouquin ? et cette vidéo tu l’as visionnée, ? je te rappelle que tu n’as pas lue la dernière des Chroniques de Pourpre, tu devrais, et les derniers Hors-Séries  de Rockabilly Generation sur Elvis, tu ne les pas encore commandés… Bref quand vous entrez dans le rock’n’roll vous avez l’impression d’entrer dans les Ordres, mais là toutes les cinq minutes vous avez l’impression que Dieu vous attend…

             Le rock’n’roll s’empare de votre vie, pour toujours, vous aimeriez parfois y échapper, il vous rattrape illico, même pas la peine d’y penser. Devenir fan de rock’n’roll, c’est un peu comme si vous décidiez de planter votre tente de survie en enfer.

             Prenons un cas que vous commencez à connaître : Eric Calassou.  Alias Bill Crane. L’est parti en Thaïlande, il semble que le rock’n’roll l’ait perdu de vue, bien sûr ça n’a pas duré, Ces quatre derniers mois il vient de produire tout seul chez lui quatre albums. Nous en avons déjà chroniqué trois.

    Baby Call My Mame : c’est le premier, le titre c’est un peu comme si l’Avenir du Rock, ce personnage mythique qui hante les chroniques du Cat Zengler, lui avait filé un coup de fil : Bill Crane ! réveille-toi, le rock a besoin de toi !

    Hell ls Here : c’est le deuxième, l’interjection du Grand Patron Mythique avait précipité Bill Crane dans l’enfer du rock ‘n’roll, qui de fait est le paradis du rocker.

    Covers : c’est le troisième, le retour aux sources, les pionniers disparus du rock, c’est mieux que le paradis, c’est l’Atlantide du rocker.

    Voici le quatrième :

    MOONLIGHT

    BILL CRANE

    (Chaîne YT / Bill Crane)

    You Can’t Judge a Book by the Cover, certes Bo Diddley a raison, n’empêche que l’on ne peut regarder la couve d’un disque sans être dans l’état de surexcitation qui saisit les archéologues de la Vallée des Morts lorsqu’ils forcent la porte d’une sépulture, offrira-t-elle la dépouille convoitée d’un pharaon égyptien, ou juste une pièce vide…

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    Moonlight, pour un Clair de Lune l’image est plutôt sombre, serait-ce la lune noire horoscopique, voire la lune verdâtre qui flotte sur les eaux stagnantes des marécages… entre la semi-obscurité d’un croissant de lune romantique pour de doux ébats sur le siège arrière d’une Pink Thunderbird, et la face blême de l’astre sélénique qui dardait ses rayons maléfiques sur le carrefour où Robert Johnson rencontra son destin, la distance est immense. Pour trancher, écoutons :

    Rock the beat : balance le beat, chevauche le tigre, baise la bête, surtout ne baisse pas la tête, seul devant le monde entier, ce vocal qui mord, la guitare qui tinte comme la verroterie de la ménagerie de verre de Tennessee Williams, tout ce que la vie n’a pas donné, tout ce que tu as pris, tout ce que tu ne rendras jamais, ce rock qui t’écarquille les oreilles qui enquillent sec, une retenue de violence dans ce titre, une ouverture claudicante un pied sur le sable mouvant des tristesses de la vie, et l’autre sur le béton inaltérable des pistes cendrées des marathons intérieurs.  Moonlight : avez-vous déjà entendu une voix comme celle-là qui moane dans les mornes plaines de Waterloo, une guitare astringente qui pianote, un gong asiatique de monastère  tibétain, le gars perdu qui arpente les sentiers glacés de l’Himalaya à moins que ce soit la plainte solitaire du yéti dégoûté des hommes, la voix se perd, un voilier sur la mer lointaine sans capitaine, un Titannic sans iceberg, jusqu’au choc, le trou dans l’eau et le silence. Non ce n’est pas fini, attendez le coup de gong final pour vous apercevoir que vous erriez dans ce que l’on pourrait appeler un codicille désespéré au Blue Moon d’Elvis. Magnifique. Fallait oser. Bill Crane l’a réussi. Let’s go : lorsque vous entendez l’intro rythmique vous respirez, après les deux douches froides  comme des suaires qui ouvrent la porte du dancefloor, vous entrez dans la danse sans vous poser de question, rien que le titre qui fleure l’optimisme sixties, pour un peu vous danserez le twist, inutile de faire le cake, initiez-vous plutôt au cakewalk des culs-blancs, car voyez-vous dans ce monde, toutes les bonnes choses se perdent, all the good is gone, un titre bleu qui rit jaune, la guitare claque comme un dentier mal ajusté. Le rockab du pauvre qui vous casse la gueule quand vous lui faites la charité. A bon entendeur salut. Please be mine : c’est aussi beau que du Ben E King, le feulement du type qui a jeté son dévolu sur la gerce qui danse, vivement le samedi soir, à part qu’au bout d’un moment la comédie se change en la tragédie du dérisoire assumé, le gars s’est jeté sur la minette, il joue le jeu, connaît l’art de croquer les souris jusqu’au bout des griffes. Ronronne à la glotte perchée. Jubilatoire. The right time : avez-vous remarqué comme chaque titre est comme la moitié évocatoire d’un autre bien connu, une espèce de cut-up, en fait ici, il vaudrait mieux parler de Crud-up, l’Arthur qu’admirait Elvis, celui-ci peut être compris comme une parodie du précédent, au début Crane et sa guitare vous balancent  la purée en pleine poire, puis il endosse la posture de la désinvolture, Monsieur se désintéresse, il s’en fout, il sifflote, le gars qui s’éloigne allègrement dans la nuit sans même un regard en arrière. All around the world : la batterie accélère le pas, elle a intérêt à suivre, le mec l’est parti pour faire le tour du monde, du moins c’est qu’il dit, pardon c’est ce qu’il miaule, l’on a l’impression qu’il remue la queue de plaisir sur un toit de tôle brûlant, joue à la pierre qui roule, mythologies blues et rock obligent, il passe et n’a pas le temps de s’arrêter très longtemps. Avec lui c’est maintenant ou jamais. C’est sa philosophie, être ici et maintenant comme partout ailleurs. Le rock produit son propre narcissisme. Little less conversation : (les amateurs de Presley n’aiment pas ce titre, ce n’est pas qu’il soit mauvais, c’est qu’il laisse un goût amer dans la bouche, enregistré en 1968, et dernier numéro 1 du King après sa mort en 1977). Autant le titre de Presley est par ses paroles et sa diction un peu macho-phallo (j’emprunte le vocab des féministes pour me faire bien voir de ma députée) autant celui de Bill Crane joue sur la solitude marécageuse qui sépare les individus, une espèce de jungle beat asthmatique et un vocal titubant chargé de l’ennui de vivre et de la nécessité de donner l’apparence de vivre, d’être toujours en représentation devant les tiers, cette impossibilité de ne pas être soi, un tigre altéré du sang de ses contemporain.e.s. ( Essai exclusif d’écriture inclusive). Baby Blue : après Elvis, Gene Vincent, une promenade hommagiale sous la lune bleue de l’idole noire, la voix levés vers le ciel si pur et la glotte emmurée de terre et embrumée de pleurs… baby blues. Dylan, avait raison, après Baby blue il n’y avait plus rien à dire. It’s all over now, baby blue ! Always the sun : référence à l’hymne gnostique, c’est ainsi que le qualifie Pissier, des Stranglers … c’est que quand tout est fini, le soleil se lève au matin suivant, ne serait-ce que pour éclairer les désastres de la veille. Le problème c’est que les éclats carillonnant de guitare et la voix entreprenante suivent la courbe solaire, elle monte au début, elle plafonne à midi, chauffe un max, décroît insensiblement puis se fatigue et décline. Serait-ce une métaphore de l’histoire du blues et du rock… Highway blues : dans le rock quand tout est fini  il reste toujours la possibilité de partir plus loin, d’enfiler la Highway des espaces infinis du no future et d’aller voir si plus loin l’herbe bleue du Kentucky est encore plus verte… La voix de Bill Crane s’estompe et disparaît dans un nuage de poussière…

             Cet album est splendide, une véritable méditation lamartinienne sur les choses inanimées qui bougent encore. Bill Crane, à lui tout seul, one man band, nous donne à entendre  l’hyperbole crépusculaire du rock’n’roll.  Souvenez-vous tout de même que le mot crépuscule signifie tout aussi bien, le moment qui précède la nuit que celui d’où procède l’aube…

             Ne soyez pas nostalgique, Bill Crane vient de terminer un cinquième album… Rock’n’roll never dies…

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    jesus and mary chain, zombies, elvis presley + rockabilly generation, spyder turner, jeff lescene, stüpor mentis, eric calassou, rockambolesques,

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    J’ai arrêté la voiture devant le bâtiment de l’agence parisienne de la CIA. La

    porte s’ouvrit d’elle-même dès que nous nous en approchâmes. Une personne masquée nous attendait, elle nous fit signe de la suivre, nous montâmes jusqu’au troisième étage. Notre accompagnateur se saisit d’un combiné mural.

             _ Ils sont là !

    Il dut recevoir un ordre favorable car il appuya sur ce qui semblait être une légère protubérance anonyme sur le mur qui pivota sur lui-même dévoilant une vaste salle éclairée par une lueur diffuse qui semblait provenir d’une grande table autour de laquelle se tenaient une dizaine d’opérateurs qui ne relevèrent même pas la tête à notre arrivée. Jim Ferguson s’avança à notre rencontre, il jeta un rapide regard sur les jumelles impressionnées par la drôle d’atmosphère qui régnait dans cette pièce.

             _ Bienvenue dans notre centre décisionnel N°14, cher Chef vos deux nouvelles agentes me paraissent bien jeunes, pensez-vous qu’elles aient les capacités mentales et physiques de se joindre à nous.

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Ne craignez rien cher Jim Ferguson, chez nous en France aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années !

             _ Ah ! Ah ! vous en faites une affaire d’orgueil national, elles sont bien jolies, mais chez nous en Amérique aux tendres corneilles nous préférons le corbeau immémorial d’Edgar Poe ! Jeunes filles nous sommes ravis de vous accueillir, ne perdons pas de temps, la situation est plus que grave, elle est inquiétante. Venez voir.

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    Sympathique le Jim Ferguson, il n’y avait pas grand-chose à voir. Il me fallut quelque temps pour comprendre que la couleur changeante de la table n’était pas une œuvre d’art due au génie torturé d’un artiste moderne mais un grand écran ultraplat, même pas cinq millimètres d’épaisseur, d’une vingtaine de mètres carrés qui constituait, malgré sa minceur, le plateau de la table. Au risque de décevoir le lecteur il n’y avait rien d’affriolant à regarder. De temps en temps une vague lueur rouge semblait embraser l’écran, pour disparaître et laisser la place à une teinte évanescente d’un blanc plâtreux ou d’un gris indéfinissable. Le spectacle paraissait fasciner la dizaine d’opérateurs qui de leurs yeux attentifs ne quittaient pas, ne serait-ce d’un millionième de seconde ces reflets changeants peu pittoresques.

             _ Agent Chad, je suis sûr que vous reconnaissez l’endroit, c’est l’endroit où nous nous sommes rencontrés !

    Je cherchai en vain dans ma mémoire :

             _ Mais si l’endroit où nous avons dû vous arracher à la grille de l’entrée dans laquelle vous vous acharniez à vouloir passer à travers, je me dois de vous présenter les excuses du Président des Etats Unis, dans nos services nous avions cru que vous aviez l’esprit dérangé, sachez toutefois que nous n’abandonnons jamais une piste, si farfelue qu’elle puisse paraître… Nous savons reconnaître nos erreurs d’appréciation. Autour de cette table se trouve une des meilleures équipes d’analystes de toute la CIA. Permettez-moi de donner la parole à Mister John Deere !

    John Deere n’était pas un grand causeur, mais il expliquait très bien, il n’ouvrit pas la bouche mais il posa sa main sur l’écran qui s’éteignit. La pièce fut plongée dans l’obscurité, le Chef alluma un Coronado, pendant un long moment le bout rougeoyant du cigare fut le seul point de lumière visible dans le centre décisionnel N° 14 de la CIA parisienne…

    Ce n’est que lorsque le Chef ralluma un nouveau Coronado que John Deere prit la parole.

    81

             _ Jim Ferguson a raison, nous autres américains, fils de la plus grande démocratie du monde, nous refusons l’échec. Cela faisait un moment que nous tournions autour de cette maison dont la grille a failli vous happer. Depuis près de vingt ans nous nous intéressons à cette étrange secte des briseurs de murailles. D’étranges rapports sur des cambriolages sans effraction nous ont intrigués, pendant longtemps ce genre de phénomènes s’est exclusivement déroulé sur le territoire américain. Le FBI s’est donc chargé des enquêtes. Les journaux en ont profité pour augmenter leur tirage. Qui était ce mystérieux individu qui pénétrait dans n’importe quelle maison ou édifice sans se faire prendre, se jouant des systèmes d’alarme les plus sophistiqués, nous pensions avoir affaire à un individu hyperdoué, un as de l’informatique, un ingénieur en haute-serrurerie, nous avons essayé vainement de tracer son portrait-robot, son profil psychique, nous avons discrètement enquêté sur de nombreux ingénieurs de nos entreprises qui possédaient les connaissances nécessaires à ce type de pratiques, nous avons passé au crible les staffs de nos entreprises œuvrant dans les techniques secrètes de pointe, nous n’avons rien négligé, même pas les hauts-fonctionnaires de nos ministères, nous n’avons pas oublié de nous pencher sur le Pentagone, rien, nous n’avons rien trouvé, même pas un début de piste…

    Le Chef ralluma un cigare et prit la parole :

             _ Si je comprends bien la CIA cherche et la CIA ne trouve rien, pourquoi notre individu ne se trouverait-il pas dans la CIA, peut-être est-il même niché au cœur de la cellule d’intervention qui chapeaute toutes ses enquêtes.

    J’ai cru qu’un ange aux ailes cassés allait longuement traverser la pièce durant un long silence. A ma grande surprise il n’en fut rien. Un franc sourire s’épanouit sur les visages des opérateurs de John Deere et de Jim Ferguson, qui prit la parole :

             _ Les français sont un peuple frivole, ils ont, on ne sait pas trop pourquoi un Service Secret du Rock’n’roll, formé d’un Chef, d’un seul Agent, de deux jeunes filles post-pubères et de deux chiens vigilants présentement assoupis sur un canapé, SSR qui n’est pas très bien vu par les Présidents de la République successifs, et pourtant c’est cette bande de branquignoles qui fait preuve d’une remarquable intelligence d’intervention étonnante. Si nous avons pris la décision de collaborer avec vous ce n’est pas par hasard. Normalement, selon notre propre protocole nous aurions dû vous éliminer, mais l’Histoire avec un grand H, une hache thermidorienne pour user d’une métaphore emplie du bruit et du tumulte du génie politique de votre nation, nous avons dérogé au principe d’action de notre service, je laisse Mister John Deere vous expliquer le pourquoi de cette mansuétude opérative de notre part.

    John Deere se racla la gorge, le Chef en profita pour allumer un nouveau Coronado.

             _ Ces mystérieux et audacieux cambriolages ont cessé d’un seul coup voici deux ans. Les journaux se sont focalisés sur le changement climatique et la possibilité d’une guerre avec la Chine. Les peuples se doivent d’être amusés et divertis, cela leur évite de réfléchir. La presse n’en a jamais rien su, l’information en a été tenue secrète, mais nos ennemis se sont permis de nous narguer. Un coup de maître. Ils se sont introduits dans le saint des saints, dans la Maison Blanche, sont allés tout droit vers le bureau ovale du Président, ils n’ont laissé à leur habitude aucune trace, ils ont agi avec un professionnalisme sans défaut et une discrétion étonnante. Figurez-vous que le Président ne s’en est aperçu que par hasard. Un coup de chance, il s’est souvenu qu’il avait promis au Foreign Office de jeter un rapide coup d’œil à un dossier de moindre intérêt. L’était d’ailleurs rangé tout au fond de la pile, il ne l’a pas retrouvé, on l’a cherché partout, on ne impossible d’y mettre la main dessus, les investigations ont été longues, figurez-vous que le dossier tout en haut de la pile portait sur les nouvelles armes mises au point par le Pentagone, n’importe quelle puissance étrangère aurait donné des milliards pour l’avoir entre les mains, mais non, ce n’est pas celui-là qu’ils ont choisi, ils ont pris un dossier relatif à une puissance du quatrième ordre !

    Le Chef qui allumait un Coronado intervint avec placidité :

             _ Je suppose que vous parlez de la France ?

    _ Nous ne sommes pas là pour nous cacher la réalité. Oui, votre pays s’inquiétait de ce que les ménagères américaines n’usent plus de pinces à linge en bois pour étendre leur lessive, et que les pinces en plastique qu’elles utilisaient se retrouvaient au fond des océans. Nous comptions leur répondre que nous préservions la diversité de notre flore notamment de nos arbres, que nous refusons de couper nos forêts de séquoias pour les transformer en pinces à linge. Mais…

    A cet instant se produisit une fébrile animation autour de la table, les opérateurs tournaient autour d’elle visant de de temps en temps de leurs index des points qui devaient correspondre à des boutons.

    Au bout de quelques minutes l’un d’eux s’écria :

             _ That’s all right !

    Nous nous précipitâmes.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 643: KR'TNT 643: ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM / CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACK - FLAUBERT / CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR / SCIONS / ERIC CALASSOU / MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 643

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 05 / 2024

     

    ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM

    CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACQ  - FLAUBERT   

    CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR

    SCIONS / ERIC CALASSOU 

    MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES  

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 643

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    *

    Je connais Sergio Kazh, un gars sympa, photographe et fondateur de la revue Rockabilly Generation News, l’est peut-être comme moi rempli de milliers de défauts, toutefois je peux témoigner à sa décharge qu’il lui en manque un, des plus importants, le mensonge : non Sergio Kazh n’est pas un menteur ! Figurez-vous que voici quinze jours il m’envoie un très court message surprenant : ‘’ Tu vas recevoir le Graal’’. Le Graal me suis-je demandé et pourquoi pas tant qu’il y est  le Ptyx mallarméen  en supplément, le Sergio il est gentil, mais il raconte un peu n’importe quoi.

    Ben non, quinze jours plus tard j’ouvre ma boite à lettres, juste une enveloppe blanche, un peu épaisse au toucher certes, mais pas le genre de colissimo à contenir le sacré graal tant recherché par les fameux chevaliers de la Table Ronde. J’étais un peu déçu, je m’étais dit que si c’était vrai je le revendrais aux enchères et que je pourrais me payer un petit resto pas cher avec mes deux chiens. J’ai ouvert l’enveloppe, j’ai été ébloui, non seulement le graal était dedans mais il y en avait deux !  

    ROCK’N’ROLL MAGAZINE

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 1

    ELVIS PRESLEY

    1935 – 1955

    L’ENFANT DIVIN

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             Z’ont peur de rien chez Rockabilly Generation, que reste-t-il à écrire sur Elvis, son histoire est connue de fond en comble, tout a déjà été dit. Mais là, ils sortent le grand jeu, non pas deux numéros à la suite, mais deux Hors-Série en même temps.

             Commençons par désigner les coupables, Sergio à la manœuvre et aux photos, Gilles Vignal  aide technique et support encyclopédique, Sylvie Monin, Yolande Gueret, Pascale Clech, petites mains indispensables sans lesquelles il n’y aurait pas de grands projets.

             Ce n’est pas tout. Depuis son apparition dans la revue, la rubrique Racines tenue par Julien Bollinger attire l’attention, il s’y connaît et il écrit bien, ce n’est donc pas étonnant d’apprendre que c’est lui qui a rédigé l’ensemble des textes des deux numéros. Je n’ose pas me demander combien de recherches, d’heures, de nuits et de jours lui ont été nécessaires… Des années car Julien Bollinger ne nous donne pas une énième biographie de l’enfant de Tupelo, il nous présente sa vision d’Elvis Presley, une défense et illustration de ce personnage insensé aujourd’hui ficelé dans une camisole dorée qui ne lui appartient plus, que notre auteur essaie de saisir tel qu’en lui-même la légende l’occulte.

    O

             L’enfant divin. Le titre peut poser question. Non Elvis n’est pas né de la cuisse de Jupier. Un gamin comme les autres. Pas tout à fait, pas venu au monde avec une golden spoonfull dans la bouche, mais aimé et protégé par ses parents. Qui tirent le diable par la queue, de parfaits représentants de cette white trash people, cette saloperie blanche, ces pauvres dont la frontière économique jouxte celle des nègres… nous sommes dans le Sud, pays de la ségrégation, l’on a envie de dire l’autre pays de la ségrégation, l’autre de cet autre n’étant que le Nord des Yankees.

             L’enfant divin, vit à l’abri du monde mais pas de la misère, dans un lieu mental protégé et solitaire, entre son père et sa mère. La musique l’attire, il l’apprivoisera petit à petit, jusqu’à ce jour où il en deviendra, sans le savoir, le maître. Comment cet enfant poli, timide, va-t-il accumuler en lui cette puissance charismatique qui le transformera en bombe humaine. Julien Bollinger ne le dit pas, qui d’ailleurs pourrait le dire à part Elvis lui-même, il ne le dit pas mais il le suggère. Il décrit minutieusement les circonstances et les rencontres  qui vont faire Presley, car l’on est souvent davantage construit que l’on ne se fait soi-même. Bollinger nous montre le chemin que Presley emprunte sans savoir où il le mènera mais qui lui permettra de devenir lui-même.

             Evidemment, pour reprendre le titre d’un film brésilien qui sera tourné en 1964, au cours de sa sulfureuse saga Elvis rencontrera le dieu noir et le diable blond. Le premier s’appelle Sam Phillips et le deuxième Tom Parker. Phillips révèlera Elvis à lui-même, Elvis a trouvé sans le savoir ce que Sam cherchait. C’est l’étincelle salvatrice, celle qui tire Elvis de son incertitude qui le met sur les rails. Il chante dans des bleds paumés, les jeunes du coin aiment son style. Une idole locale. Mais ce n’est pas avec cela que l’on conquiert l’Amérique.

             Elvis n’a pas les dents qui rayent le parquet, mais Parker le colonel a les idées longues, l’a aussi du savoir-faire, de l’expérience, de l’entregent et l’assurance qu’Elvis ne possède pas.

             Le magazine fourmille de renseignements, Julien Bollinger décrit les lieux, dessine le portrait des protagonistes, il montre, il dévoile, il révèle, il redonne vie à tout un monde aujourd’hui disparu, il nous captive, il nous retient prisonniers, il déroule un scénario dont nous ne sommes les héros que par procuration.

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 2

    ELVIS AARON PRESLEY

    1955 – 1958

    THE KING

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                    L’on ouvre le tome 2 avec regret, le tome 1 nous a emmenés si loin que l’on aimerait qu’il n’y ait pas de suite, que tout se soit arrêté-là… Julien Bollinger possède plusieurs as dans sa manche, le cœur et le pique. Nous avons vu grandir le gamin, mais Elvis n’est pas encore Presley. Certes les géniales et originelles sessions chez Sun ont été plus que prometteuses mais c’est en rentrant chez RCA qu’Elvis se révèle. N’y a plus Sam aux manettes, c’est Elvis qui commande, qui sait, qui impose son savoir-faire.

             Idem pour les concerts. Ne suffit pas de chanter. S’agit de créer le rock’n’roll, de le démarquer de toutes les musiques qui existent déjà. Elvis comprend que l’on ne chante pas avec sa voix, mais avec son corps. A son corps défendant. Mais il ne le sait pas. Ses manières de nègres et ses outrancières attitudes sexuelles par trop explicites ne plaisent pas à tout le monde. Que la jeunesse blanche se mette à l’écoute de la musique noire n’est guère admissible. Décadence et fin de la ségrégation en vue. Hommes politiques conservateurs, élites blanches et Klu-Klux Klan s’inquiètent.

             Parker a tracé les limites : petit tu t’occupes de la musique et moi du cash. Pour le cash Parker tiendra parole. Pour la musique aussi. A sa manière, l’air de rien, il fait le vide autour d’Elvis, avec des contreparties, des passages-télé, des films, mais toujours de petites suggestions d’améliorations… qui ne sont que des affadissements… L’on ne tue pas la poule aux œufs d’or, on la met en cage. Bollinger admet qu’il n’a pas de preuves, mais selon lui si Elvis s’est retrouvé à l’armée ce n’est pas parce que l’administration militaire… Lorsqu’Elvis comprendra, ce sera trop tard.

             L’on peut se demander pourquoi Elvis n’a pas rué dans les brancards, pourquoi il n’a pas renversé les tables de la loi du profit financier, simplement par honnêteté, le respect de la parole donnée, la peur de dégringoler aussi vite qu’il était monté sur le toit du monde, quel pacte faustien avait-il passé avec le Colonel, à moins que ce ne soit le Colonel lui-même qui ait été manipulé au vu de son trouble passé par des forces réactionnaires très puissantes…

    L’histoire d’Elvis est celle d’une défaite, Julien Bollinger la métamorphose en victoire, Elvis révolutionne la manière de faire la musique, il est en avance sur tous les autres mais surtout sur son temps, il dérègle l’ordre du monde, l’Amérique ne sera plus jamais pareille. Il perdra son royaume, mais il restera le King mythique pour toujours.

    Ceux qui aiment Elvis, ceux qui ne l’aiment pas, ceux qui s’en foutent, ont intérêt à lire ces deux graals, incidemment ils apprendront comment le rock’n’roll est né, et mieux que cela comment il a réveillé le monde en le révélant à lui-même. En lui faisant comprendre ses possibilités illimitées et ses tares intarissables.

    O

             Attention, ces deux numéros sont de splendides artefacts, elles donnent à lire la vie d’Elvis, mais elles la montrent aussi. Elvis a été l’homme le plus photographié du vingtième siècle, les documents d’époque ne manquent pas, encore faut-il faire le bon choix, les mettre en évidence, leur pertinence doit signifier et renforcer le texte. Leur force aussi, l’a fallu les  travailler, les éclairer, leur attribuer une nouvelle vie, nous permettre de les voir  pour la première fois, les rendre iconiques, nous retenir, nous hanter. Un seul exemple, même pas pris au hasard, tome 1 page 3, la première photo, avez-vous déjà vu un noir aussi intense, aussi mystérieusement presleysien, Sergio Kazh est un magicien. Il révèle, lui aussi il donne sa vision. Celle qui donne son sens à l’image.

             Damie Chad.

    Attention : vu la qualité de ces deux Hors-Séries d’emblée des collectors, passez commande au plus vite :

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    Wizards & True Stars

     - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt?

    (Part Five)

    elvis presley - rockanilly generation,pixies,sonic boom,chucks brooks,chip taylor,scions,eric calassou,marie desjardins,rockambolesques,cormac mccarthy - jean-françois jacq - flaubert

             Frank. Black. Franc. Bloc. Rock. Blue. Bât. Flanc. Big. Front. Free. Bad. Bossanova et Trompe Le Monde. Les Pixies font de nouveau trembler les colonnes du temple parisien, l’Olympia. Ils rejouent ces deux albums qui ont tétanisé pas mal de kids à travers le monde dans les années 90. Ah tu l’as dansée la Bossanova. Pas ton préféré des quat’ premiers, comme on dit, mais quand le gros descend «Down To The Well» pour lancer l’assaut à chaud, tu ravales ta morgue et ta morve, Down to the well/ Betty always knows, il éructe ça au gras du bide, il incarne le rock mieux que tous les autres rois du raw, et il plonge dans l’hystérie les milliers de brebis entassées dans la fosse à coups d’I can hardly wait baby/ I can hardly wait/ Til we go down to the well, il n’existe rien de plus pressant, de plus brutalement beau et puissant que cette injonction, il l’hurle à moitié, il chante hors du temps, il écrase le rock et l’idée qu’on s’en fait, on comprend une fois de plus que le rock n’est qu’affaire de puissance et de somptueuse brutalité. Tu veux faire du rock ? Apprends à enfoncer ton coin à coups d’I can hardly wait baby jusqu’au bout, jusqu’au Til we go down to the well, et le show à peine commencé, la masse de brebis ondule comme l’océan dans la tempête. Tout vole en éclat, les accastillages, les coques, les culs blancs, les conques, les cliques et les claques, c’est une communion dans la violence au paradis, ton être reçoit et diffuse, tu descends au puits avec le gros et tous ses fans, tu vis enfin dans l’instant, tu goûtes à l’éternité de l’instant, et ce downnnnnnnn to the well te résonnera dans les oreilles pendant des jours et des jours. En certaines occasions, le rock prend l’allure d’un accomplissement. Voilà, c’est là. Très exactement là. Merci le gros pour ces minutes de sable mémorial. Au moment où tu tapes ces mots, ces minutes sont derrière toi, mais tu refuses de les voir s’effacer, alors comme tu es un petit présomptueux, tu tapes qu’elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Pas s’effacer. Pas...

    elvis presley - rockanilly generation,pixies,sonic boom,chucks brooks,chip taylor,scions,eric calassou,marie desjardins,rockambolesques,cormac mccarthy - jean-françois jacq - flaubert

             Le gros est ton meilleur ami. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il te chante ton cut préféré des Pixies, «Letter To Memphis». Ah oui, on a les copains qu’on mérite. Et là, le gros ne fait pas dans la dentelle. Il t’introduit son The day since I met her/ I can’t believe it’s true dans la vulve, il t’honore comme tu honores ton épouse, mais en même temps, il honore le rock, pire encore, il le sanctifie, tout à coup, le rock du vieux devient religieux, purement religieux, c’est-à-dire mystique, I’m sending a letter/ I’ll send it right to you/ I’ll send it to Memphis, oh comme il appuie le phis de Memphis, il chante ça d’un air imperturbable, mais il est forcément dans le même état que toi, en vrac sensoriel, car ce Trying to get to you/ How I tried to get to you/ Trying to get to you te broie le cœur, te plonge dans l’extase mystique, le gros prend un ton de voix déphasé, brouillé comme un écran brouillé, cette voix crépite dans des inter-zones, tu en captes le moindre détail, tu pries le diable pour que le temps s’arrête, car voilà la félicité telle qu’on la décrit ailleurs, mais celle-là n’est pas la même, elle est rock, c’est la félicité de la Lettre à Memphis, rien à voir avec celle des fucking curetons. C’est dire si les fucking curetons n’ont rien compris à rien : s’ils chantaient «Letter To Memphis», ils rempliraient leurs églises comme des Olympias. Ce sont des évidences qui te fatiguent, comme toutes les évidences.  

             Tiens, quand le gros attaque «Head On», tu te dis que t’es pas sorti de l’auberge et c’est tant mieux. Une fois de plus, tu vas pouvoir chanter ça à tue-tête avec les milliers de brebis rassemblées dans la tempête, en même temps, tu vas revoir Jean-Jean attaquer comme le gros dans le virage l’As soon as I get my head around you/ I come around catching sparks off you et tu vas voir l’Head On monter en température comme un Krakatoa en colère décidé à rayer le genre humain de la surface de la terre à coups de Makes you wanna feel, makes you wanna try/ Makes you wanna blow the stars from the sky, eh oui, tu prends une fois de plus ce wanna blow the stars from the sky en pleine gueule et tu tends l’autre joue, tu fais ton Gandhi, t’en peux plus de faire le maso, il pleut des coups, le gros t’entraîne, il te plonge dans tes souvenirs de répètes et une fois encore dans l’éternité de l’instant, te voilà écartelé, te voilà Ravaillac Gandhique, te voilà gros-Jean-comme-devant, le rock décide de tout, le gros est ton maître, tu es sa brebis, vazy écartèle les cuisses, ça te rentre par tous les pores de la peau et tu te dépêches de chanter car la diligence revient dans le virage, Yeah the world could die in pain/ And I wouldn’t feel no shame, ah oui, le feel no shame te coule dessus comme une semence de félicité, tu savoures les miasmes à pleine bouche, tu chantes avec de la semence de félicité plein la gorge à t’en étrangler de jouissance, tu y vas de toutes tes forces, car tu n’as plus le choix, tu ne peux plus reculer, alors tu te jettes dans l’écume du jour à coups d’And I’m taking myself/ To a dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found en concordance exacte avec le gros et tu fusionnes avec son lard, avec son gras du bide, tu fusionnes avec le rock le plus cosmique de l’univers, tu te take to the dirty part of town une fois encore et c’est un peu comme si tu épousais le rock, veux-tu prendre le rock pour époux, oui, oui, oui, avec les poux de Joey Santiago, et comme d’habitude l’Head On finit en eau de boudin et s’encastre dans le platane d’un coup ralenti de makes you wanna blow the stars from/ The/ Sky, et te voilà veuf, inconsolable, seul au monde. Chaque fois c’est pareil : tu finis veuf. Baisé. Trahi par le destin. Seul. Maudit. Tout ce qu’il te reste à faire, c’est d’attendre la suite. Tu ne vis plus que par curiosité. Quelle autre forme de sentiment pourrait t’animer après un tel drame ?

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             Oh des drames il en pleut encore. «Velouria» te re-traumatise, trop vénitien, trop perverti, trop délicieusement fourbe, trop embué d’imbu, c’est un serpent sonique qui te rentre dans la gorge, c’est pas lui qui t’avale, c’est toi qui l’avales, c’est encore pire, tu veux pas mais t’es obligé, My Velouria/ My Velouria/ Even I’ll adore you/ My Velouria, tu veux dégueuler, mais tu peux pas, avale, de toute façon ton corps n’est qu’un passage, ça rentre et ça sort, alors avale, tu ne sers à rien d’autre qu’à avaler My Velouria, sacré serpent qui se tortille dans ta gorge à coups de We will wade in the shine of the ever, et si, pour te changer un peu les idées, tu veux creuser pour trouver du feu, alors creuse avec le gros, car «Dig For Fire» te transforme en Tchernobyl à deux pattes, ah les concerts du gros ne sont pas de tout repos. Et il te précipite une fois encore dans la centrale nucléaire, ça explose avec le subreptice And then he said qui entraîne fatalement l’I’m diggin’ for fire, car dans ces cas-là il faut savoir la suite, alors l’old woman/ She lives down the road ou l’old man who spent so much of his life sleeping te font, via le gros, cette réponse : I’m diggin’ for fire, dix fois I’m diggin’ for fire, au cas où t’aurais pas bien compris, oui dix fois, on les a comptées. Le gros n’en finit plus d’enfoncer le même vieux clou et ça marche à tous les coups. Tu vis son rock physiquement. C’est un rock qui d’une certaine façon te transforme, c’est un rock qui te manipule, qui te modèle, au sens de la pâte à modeler. Autant faire ça bien.

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             Alors tu crois t’en tirer à bon compte, mais non, tu reçois «Motorway To Roswell» sur le coin de la gueule, il arrive en fourbasse, beau mais boom car c’est la mélodie du bonheur avec la puissance des forges, le Motorway arrive au tagada de Last night he could not make it/ He tried hard but could not make it, et cette boule de pus, cette pomme d’amour t’allume à la subreptice en miaulant l’He started heading for the motorway la bouche en cœur, And he came right now, beau mais boom encore avec «Palace Of The Brine», l’insidieux Palace comme pas deux, cet air de rien qui s’enroule autour de toi comme un joli petit serpent vénéneux, A life that’s so sublime et ça dégringole dans le Palace of the brine, le gros te révèle tous ses secrets, chaque cut est un nouvel accès à son intimité intellectuelle, c’est un peu comme si tu te penchais sur son oreille et que tu voyais sa belle cervelle rose palpiter, elle palpite pour toi, le gros chante pour toi, et comme il est gentil, il chante aussi pour les autres, oh le boom de «Planet Of Sound», tu le connais par cœur, tu en connais tous les replis, les poils et les orifices, comme si tu avais passé ta vie à les examiner et à les tripoter, alors tu tripotes encore ton This ain’t the planet of sound, et une fois de plus tu réalises que tout Nirvana vient de ce refrain, car ce This ain’t the planet of sound n’est rien d’autre qu’une bombe atomique, l’une des plus violentes de l’histoire du rock. Même niveau qu’«Helter Skelter». Comme avec le gros ça n’arrête jamais, l’all nite long repart de plus belle avec une autre bombe atomique, «U-Mass» et sa ribambelle d’appels à l’émeute des sens, oh dance with me/ Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ And kiss me cock, le gros veut baiser, le gros provoque, il fait du Dada cul à coups d’oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock, tu ajouterais presque while I kiss the sky, mais le kiss my ass du gros est plus performant, c’est sûr qu’on lui kiss l’ass, pas de problème, et il t’enfonce son clou dans la paume à coups redoublés d’it’s educational/ It’s educational. Comme s’il réinventait non seulement le rock, mais aussi la puissance et la modernité. Il n’existe pas d’artiste plus complet et plus fulgurant que ce magnifique gros lard.

             Et ça se termine d’un coup de «Caribou». Mais un «Caribou» demented qui crève les cieux car le gros va au bout du booo du Cariboo-ooo puis il plonge dans les entrailles de l’enfer pour aller chercher des graves de Repent qui te foutent à la fois la trouille et la peau en vrac à coups de frissons. Encore pire que Tannhäuser ! Ça te rabote à vif, ça te déplace de toi-même, ça t’emboîte dans Pandora, ça te déboîte la clavicule, tu peux retourner ça par tous les bouts du Cariboo, tu sors transformé du temple. T’es gavé comme une oie. Coin coin.

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    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Olympia. Paris IX. 26 mars 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Sonic Boom reducer

    (Part Two)

             L’avenir du rock a toujours aimé les pétards, surtout ceux qui font boom. Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours fait des farces. Le pétard dans la cigarette le fait généralement pleurer de rire. Tu veux du feu ? Boom ! C’est l’hallali de l’ha ha ha. Si l’avenir du rock ne se roule pas par terre, c’est uniquement parce qu’il ne veut pas salir le costume blanc que lui a offert John Cale en gage de reconnaissance pour services rendus à la cause du peuple. Mais à travers ses larmes de rire, l’avenir du rock voit la clope en peau de banane, et ça, dit-il, ça vaut tout l’or du Rhin. À une époque, il adorait accompagner Baby Small au Badaboum. On pouvait y traîner son spleen aviné jusqu’à quatre heures du matin, et le soir du 14 juillet, Baby Small allumait systématiquement un gros pétard rose qu’elle jetait aux pieds des mecs agglutinés au bar. Boom ! Passé l’effet de surprise, personne ne rigolait, sauf l’avenir du rock et Baby Small qui se faisaient virer. Les mecs du Badaboum n’avaient aucun humour ! Si l’avenir du rock est tellement fan de Charles Trenet, c’est bien sûr à cause du cœur qui fait boum, magnifique, Boum/ Quand notre cœur fait Boum, ah il faut le voir l’avenir du rock pogoter dans son salon, Tout avec lui dit Boum/ Et c’est l’amour qui s’éveille, eh oui, c’est la vie, et la vie sans boum n’a aucun sens. Boum encore avec les surboums d’antan, boom encore avec le temps béni des pétards dans la gueule des crapauds, et le rataboum-boum des mobylettes de banlieue et des petites gonzesses en chaleur, et celui-là, le vétéran des vieux souvenirs, le «Boom Boom» d’Hooky de gonna shoot you right down, entendu pour la première fois sur le gros poste de radio jaune qui trônait au sommet du frigo familial, right offa your feet, mais le fin du fin sera sûrement le «Sophisticated Boom Boom» des Shangri-Las repris par Kid Congo au temps des Knoxville Girls, et là, tu as la quadrature du cercle, sans oublier, insiste l’avenir du rock en pointant l’index vers le ciel, le Sonic Boom des Sonics dont Sonic Boom se fera la gorge chaude et des choux gras.

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             Après quarante ans de bons et loyaux service, l’explosif Sonic Boom refait surface avec une sorte d’album mirobolant, Reset. Bon, c’est présenté comme l’album du duo Panda Bear & Sonic Boom, mais rien à foutre de Panda Bear. T’es pas là pour ça. D’autant plus qu’on s’est fait baiser avec un buzz autour du dernier album tout pourri d’Animal Collective, qui est le groupe de Panda Bear, alors ça va, laisse tomber.

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             Avec Sonic Boom, c’est tout de suite dans la poche. Ça fait quarante ans qu’on fait le tour du propriétaire, avec les Spacemen 3, Spectrum, ce mec-là n’a jamais arrêté d’enregistrer des albums géniaux. Tant qu’il reste dans le circuit, l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles. Et nous aussi. Reset ? Oui boom dès «Everyday» qui sonne comme un heavy groove de Spacemen 3. C’est assez stupéfiant, quand même - I got something to tell you - Sonic Boom reste dans le vieil esprit demented d’everyday a little bit stronger, wow, c’est du vrai Spacemen stuff ! Il va en enchaîner trois autres comme celui là, il attaque «Edge Of The Edge» en mode Buddy Holly, avec des vents de la mort, c’est tout de suite d’un haut niveau cabalistique, terrifiant de qualité, no no no, avec les effets magiques des sixties, c’est-à-dire une qualité qui te fait dégorger comme un coquillage, qui t’arrête en pleine course, un vrai miracle productiviste, Sonic Boom atteint le sommet du lard, c’est d’une sixties quality invraisemblable, franchement digne de Brian Wilson. Tu es ravi d’écouter cet album, rien que pour «Edge Of The Edge», tu entends des no no no tapés au gras du baryton, c’est tout simplement l’expression du génie sonique de Sonic Boom.

             Avec «In My Body», il va chercher l’influence la plus pure, avec celle de Brian Wilson : Gary Usher. Il se situe dans cette zone d’influence sonique, il atteint à l’imputrescible, il s’en va taper très haut et semble négocier des parts de paradis avec les archanges. Puis il s’offre une belle descente au barbu avec «Whirlpool», le voilà dans la magie communale, avec des accents orientaux et des clap-hands, quelle dérive délirante ! Il faut le voir dériver en père peinard sur la grand-mare des braquemards. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà que se pointe le bien dosé «Danger», joué aux castagnettes de Totor, avec une extraordinaire prestance de substance présentielle. Clin d’œil évident. Bravo Sonic Boom ! Ton cœur fait boom ! Il faut aussi saluer le «Gettin’ To The Point» d’ouverture de bal, car on voit cette wild rumba exploser en plein vol. Le beat est celui des reins, Sonic Boom s’y connaît en beat des reins. Il a fait ça toute sa vie. Quand il fait de la petite pop avec «Go On», il la drive fabuleusement, il y va aux clap-hands et au give it to me. Le petit  Panda Bear chante à la mode de la mormoille, mais Sonic Boom pèse de tout son poids.

             Comme toutes les belles histoires, celle-ci touche à sa fin. «Livin’ In The After» bénéficie d’une belle envolée orchestrale. On attend Dario Moreno et c’est Sonic Boom qui vient danser dans la télé, il est même fabuleux de contre-feux, il vient faire du Spacemen de kitsch exotica, avec tout le power de la prod. Sonic Boom concentre tellement de pouvoirs qu’il pourrait bien être le Zeus du rock.

    Signé : Cazengler, Sonic Bouse

    Panda Bear & Sonic Boom. Reset. Domino 2022

     

     

    La triplette de Belleville

     

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             Bien évidemment, Cormac McCarthy, Jean-François Jacq et Flaubert n’ont rien à voir avec Belleville. Il s’agit simplement d’une triplette voulue par le destin : dans le même laps de temps, trois amis te recommandent chacun un bon livre (Cormac McCarty/ Méridien De Sang, Régis Jauffret/ Dictionnaire Amoureux de Flaubert, et Jean-François Jacq/ Il Fera Bon Mourir Un Jour). Alors, pour les remercier de cet égard, tu les lis. C’est la moindre des choses. Viendra ensuite l’occasion d’en causer. Comme le disait si bien Raymond Roussel, il est toujours intéressant de confronter les Impressions d’Afrique.

             Et si cette triplette de Belleville surgit ici, sur ce bloggy bloggah, la raison en est simple : ces trois books sont extrêmement rock. De la même façon que Kerouac, Burroughs, Houellebecq et Céline sont des écrivains rock. 

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             Le McCarthy s’appelle en réalité Blood Meridian. Un traducteur nommé François Hirsh a dû bien batailler avec le texte originel, car sa réécriture du McCarthysme est globalement maladroite, parfois fanatisée, souvent taillée à l’emporte-pièce, bancale, décousue, le texte sent le roussi, la blessure mal soignée, la poudre, bien sûr, l’épuisement (450 pages), on le sent exténué, l’Hirsh, à genoux au bord du texte, il tire la langue, et pourtant il continue d’avancer, car en même temps, toute cette violence le titille et le galvanise. Comme le lecteur, il veut savoir ce que vont devenir ses personnages principaux. Comme toi, il espère secrètement que ces deux ordures, Glanton et le juge, vont se faire descendre. Et puis il faut bien que ces horreurs franchissent la barrière de corail du langage, alors l’Hirsh s’y colle, il pousse ses tombereaux de cadavres scalpés et mutilés, il te ramène ça sous le nez, il te met le museau dedans, ô brave lecteur français, il en tartine des pages entières, et parfois la trad s’emballe, c’est peut-être la prose délicate de McCarthy qui s’emballe, en tous les cas, les massacres s’étendent sur des pages et des pages, alors il épuise tout le stock de vocabulaire afférent. Quand ils sont tous morts, il n’y a plus de mots. Hélas, ou tant mieux, car il faut bien reprendre le fil du récit, la trad n’attend pas, les rotatives non plus, et puis des gens, il en existe encore des millions qu’on peut aller massacrer, des Indiens, des Mexicains, des Palestiniens, des Vietnamiens, des Irakiens, ça sert à ça les gens, alors on ne va pas aller s’apitoyer sur ces quelques villages indiens. Après tout, c’est bien fait pour leur gueule, ils n’avaient qu’à pas se trouver sur la route de cette horde sauvage de tueurs d’Indiens.

             McCarthy nous raconte l’histoire d’un gamin qu’il appelle le gamin. Dans sa forme originelle, il s’appelle forcément le kid. Ici le ‘gamin’ est un mot qui sonne faux, donc c’est mal barré. Aussi mal barré que le Pat Garrett de Peckinpah doublé en français. Cette histoire commence dans le Tennessee quelque part dans les années 1840. Et puisque c’est écrit sur la couverture, la mort commence à rôder à toutes les pages, tout le long du méridien, et même quand elle n’est pas là, elle est là quand même. Le gamin va quitter son trou à rats pour partir à l’aventure. Il va croiser le chemin d’une bande d’«irréguliers» qui sont des tueurs d’Indiens. C’est leur métier. Leur hobby. Leur passion. Alors attention, c’est autre chose que Peckinpah et Blueberry. Ce n’est pas non plus Hollywood ni Jeremiah Johnson, et encore moins le Danse Avec Les Loups de l’autre pomme de terre. McCarthy appelle cette horde sauvage «la compagnie», l’équivalent de ce qu’on imagine être les ‘routiers’ de la Guerre de Cent Ans, qu’on appelait aussi les Écorcheurs. Le gamin, Glanton (chef de la compagnie) et le juge constituent la triplette de Blood Belleville, et ils ne valent pas plus cher les uns que les autres. On est presque content quand un Yuma fend d’un coup de massue le crâne de Glanton «jusqu’à la trachée». Par contre, le juge qui est de la pire engeance sera là jusqu’à la dernière page, personne n’ayant réussi à descendre cette horrible crapule chauve. Pour une raison X, McCarthy protège ce monstre. Seule explication possible : le juge, c’est le diable. Bon donc, aventures, virées sans fin à travers un Mexique encore infesté d’Apaches, et où la vie ne tient qu’à un fil. McCarthy ne nous épargne pas non plus les descriptions de cadavres torturés par les Apaches. Si tu veux voyager au Mexique à cette époque, ça fait partie du jeu. McCarthy donne tout le détail des armes de cette époque, tout le détail des repas et des bêtes qu’on tue pour se nourrir, il décrit avec un soin maniaque les paysages, il y a du souffle, du réalisme poétique, il donne à voir ce qu’aucun d’entre-nous n’aurait jamais pu voir, car il faut chevaucher dans les montagnes et dans les déserts pour voir ce qu’il décrit. Et soudain, on réalise que ce récit n’est pas une ode à la violence, mais une ode à la liberté, cette liberté extrême qu’ont dû vivre ces gens-là, aussi bien «la compagnie», que les mineurs ou les «immigrants». C’est une région du monde où tout est permis. Et où rien ne se passe normalement, visiblement. La compagnie voyage pour tuer. C’est encore l’époque du commerce des scalps. Si quelques Indiens ont survécu, c’est un miracle. Les nazis ont employé exactement les mêmes méthodes. Search & Destroy. Tu sors de ce livre un peu hagard. Bouche ouverte avec un filet de bave. Et tu n’as plus aucun respect pour l’Américain moyen, issu de cette barbarie, et fier de son histoire. Il serait peut-être plus juste de dire qu’on est tous issus de la barbarie.

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             Allez, on va oser un petit parallèle, ça ne mange pas de pain : Jean-François Jacq, c’est Cormac McCarthy en France. Alors attention, on ne croise pas d’Indiens scalpés dans Il Fera Bon Mourir Un Jour. On croise juste les mots d’un homme aussi abîmé que le gamin de McCarthy, qui pendant 200 pages lutte pour survivre. Ce qu’il décrit est aussi inaccessible que ce que décrit McCarthy : Jacq passe les premières années de sa vie à prendre des coups dans la gueule, pim pam poum, puis il s’échappe, vivote et finit par se retrouver à la rue, et découvre pour finir, à l’âge de 22 ans, que sa mère et sa sœur sont atteintes de schizophrénie incurable, d’où l’explication des coups dans la gueule. Eh oui, amigo, les coups dans la gueule quand t’as 6 ans, c’est bien plus rock que de lire les Inrocks rue de la Roquette - Crochet du droit, que tu en prennes plein la vue. Enchaînement, crochet du gauche, que tu en prennes plein la gueule - Il en chie dans son froc. C’est lui qui le dit. Du coup, le lecteur en prend aussi plein la gueule. Damie Chad aussi, lui qui, en février dernier (livraison # 630), dans un texte frénétique, recommandait la lecture de ce livre - Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile - C’est donc une autobio qui halète dès l’intro, Jacq écrit le souffle court, il tente de décrire l’indescriptible. En intro de son chapitre 3, il sort d’ailleurs d’on ne sait où un exergue qui parle tout seul : «(...) Je me sens comme les anciens déportés des camps de concentration, car lorsque je témoigne, je me rends compte que mon auditeur ne peut pas réaliser la profondeur de ma souffrance et la gravité de mon vécu.» Et il signe ça «Anonyme. Récit d’un enfant de mère schizophrène», qui ne peut être que lui.

             Ce texte se lit le souffle court, comme il fut sans doute écrit. Jean-François Jacq réussit à transformer le plomb de sa vie de chien en or littéraire, et il n’en rajoute pas. Il s’applique à sonner juste, au plus près de ce qu’il a ressenti. Comme chez McCarthy, la mort rôde en permanence, dès le titre, et mille fois, il se demande pourquoi il continue à supporter tout ça. Il se retrouve même quasiment mort à l’hosto, et lorsqu’il décide de survivre, il survit. On la sent nettement dans son écriture, cette force de vie. Il est au-delà de malheur - au-delà du bien et du mal dit Damie - sa seule ressource, ce sont les mots. Il laisse cette impression constante de ne vivre que pour les mots. Il n’a rien. Si, une sœur ! Une sœur qu’il va essayer de sauver, car elle est elle aussi très mal barrée. Et puis il y a Frida, comme dans la chanson de Brel, une dame qui l’aide à quitter la rue, qui lui trouve une place dans un foyer «pour se reconstruire». Tu parles d’une reconstruction ! «Ce foyer, un miracle», dit l’auteur, et Frida lui «remet un sac de voyage, spécialement préparé pour toi», avec des petites affaires, Jean-François Jacq les décrit, c’est l’un des passages les plus émouvants du récit - À l’intérieur, un change propre. Radio-réveil, une cartouche de cigarettes. Diverses emplettes pour la toilette. Un petit mot d’encouragement. Plus un billet glissé affectueusement dans l’une de tes poches - Jacq décrit ce geste de charité chrétienne avec minutie, et te voilà avec lui saturé d’émotion. Tu recoupes ce passage avec le souvenir récent d’un homme qui avait hébergé chez lui un ami nommé Laurent pour les deux derniers mois de sa vie. En rencontrant cet homme pour la première fois, je compris qu’il pratiquait la charité chrétienne au sens où elle avait dû exister à l’aube des temps, avant l’établissement de l’Église. Frida et cet homme sont exactement le même type de personnages. Laurent va mourir et Jean-François Jacq va vivre, mais tous les deux auront connu la grâce de cette charité qui vient tout droit de l’enseignement du Christ, et qui n’est pas encore pervertie par les dogmes et par les bloody fucking prélats. Le catholicisme a tué la chrétienté, de la même façon que Staline a tué le marxisme. 

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             L’écrivain le plus rock des trois est sans doute Flaubert. Pas facile de transgresser les lois du temps, et de ramener un gaillard comme lui dans la réalité du rock. Ses textes sont tellement brillants qu’on pourrait pour rire négocier des équivalences. S’il écrivait hier Salammbô, il enregistrait aujourd’hui Electric Ladyland. Hier Bouvard & Pécuchet, aujourd’hui le White Album. Hier Madame Bovary, aujourd’hui The Rise & Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Hier La Tentation De Saint-Antoine, aujourd’hui A Christmas Gift For You From Philles Records. Hier L’Éducation Sentimentale, aujourd’hui Pet Sounds. Hier Trois Contes. Aujourd’hui The Piper At The Gates Of Dawn. Bon, avec son Dictionnaire Amoureux de Flaubert, Régis Jauffret ne prend pas du tout ce chemin là. Il reste dans une approche plus traditionnelle. Une approche plus tactile, dirons-nous. Plus dionysiaque. Il se montre même très familier avec son «bon Gustave». Il ne nous cache rien de ses petits tracas de santé, ni de la syphilis supposément ramenée du fameux voyage en Orient, ni des dents pourries, ni des merveilleuses petites crises libidineuses, ni de son coup de fourchette - notamment le fameux gueuleton avec Maupassant que détaille Jauffret, huîtres, crevettes, poularde, saumon, trou normand, rôti de bœuf, fromages, fruits et pâtisseries, le tout arrosé de vieux bordeaux non carafés - il ne nous cache rien non plus de ses pipes en terre, de ses longs bains du matin, ni de ses crises d’épilepsie, ni des plumes d’oie qu’il taille lui-même, ni de ses goûts littéraires, ni de ses relations amicales et voire plus si affinités (Georges Charpentier), ni des éclats de ce style étincelant - la beauté tranquille d’un style si pur - L’Eros titille bien Flaubert et Jauffret ne rate pas une seule occasion d’illustrer ce penchant. Pas facile pour un écrivain de se pencher sur un autre écrivain, surtout sur un crack-boom-hue comme Flaubert. Il arrive à Jauffret de se vautrer en vantant par exemple les mérites de la connexion, est-ce de l’humour ? Doutons-en. Ailleurs, il fait monter les amis de Flaubert en partance pour Croisset à la gare d’Austerlitz. Mais bon, on lui pardonne, ça ne réfrène pas le plaisir de savourer ce Dictionnaire Amoureux, comme on goûtait autrefois les albums cités plus haut. La cervelle énervée par l’intense fréquentation de Flaubert, Jauffret cite des noms par rafales, Céline («l’enfant de Marcel et le petit-fils de Gustave»), Proust, Isodore Isou, puis Sollers, et ailleurs Balzac et Pierre Guyotat, il parle d’œuvres qui forment des cosmos, il donne un idée de l’infini, puis plonge dans les adaptations, notamment Emma/Isabelle Huppert et Charles/Jean-François Balmer, le plus décadent des acteurs français et grand amateur de Baudelaire, puis Jauffret rêve d’avoir 15 ans pour recommencer à lire pour la première fois cette obsédante Madame Bovary, un Dictionnaire Amoureux, ça sert à ça, à se replonger dans le souvenir des premières fois, il cite d’autres premières fois, La Recherche Du Temps Perdu et l’Oblomov d’Ivan Gontcharov, et puis voilà un Gustave «réactionnaire, hostile au progrès», comme le fut Léautaud au micro de Robert Mallet, et puis il y a cette relation magnifique de maître à élève entre Flaubert et Maupassant, qui rejaillit à plusieurs reprises dans les pages du Dictionnaire, Jauffret nous livre de larges tranches de souvenirs littéraires, des pages qui montent droit au cerveau, comme le ferait «1983... (A Merman I Should Turn To Be)», ou encore «Happiness Is A Warm Gun». Et puis voilà ces traits de caractère qu’épingle Jauffret et qui nous rendent Flaubert encore plus attachant - Un homme vitupérant, emporté, quelque peu pitre mais d’une étonnante bienveillance - Et George Sand d’ajouter : «Il était d’ailleurs sans fiel, sans fausses susceptibilités, facile à vivre, et ses brutalités, toutes de langage, tenaient moins à son tempérament sanguin qu’au plaisir d’étonner.» Et puis voilà Sade qui selon Jauffret reste «un auteur fondamental pour Gustave.» Il s’en explique : «Alors qu’à son époque, ce nom évoque la gaudriole, il trouve dans l’œuvre du marquis une profondeur, une philosophie matérialiste à laquelle il adhère absolument.» Il suffit de lire et de relire Français Encore Un Effort Si Vous Voulez Être Républicains : Manifeste Politique, qui est en fait Le Cinquième Dialogue De La Philosophie Dans Le Boudoir. Alors qu’on s’achemine vers la sortie du Dictionnaire, on tombe sur une sorte d’apothéose à la lettre S : le Style, ou plutôt la religion du style, selon Albert Thibaudet, que cite encore Jauffret. Un Jauffret fasciné par le style de son cher Gustave comme le fut en son temps Léautaud par celui de Stendhal - Comme chez Flaubert, de la pâte même de la phrase, de son humus se dégage la vérité de l’écriture - C’est un lièvre admirablement bien levé, et, incapable de se calmer, Jauffret bascule dans une sublime surenchère : «Les phrases sont pareilles à des processions de mots, comme au temps des corsaires les galions l’étaient d’or, remplis jusqu’à la gueule de sens, de beauté, de sublime.» Il tape en plein dans le mille. Il Salammbique ! Et non seulement il Salammbique, mais il jette encore un pont fatal, cette fois avec Les Caractères de La Bruyère qui, avec Flaubert, incarne pour lui la perfection du style. Eh oui, La Bruyère forevère ! Et Jauffret atteint à l’immanence apoplectique en chopant cette sortie de Flaubert dans sa correspondance : «On ne sait pas assez tout le mal que donne une phrase bien faite. Mais quelle joie quand tout y est ! c’est-à-dire, la couleur, le relief et l’harmonie.» Et Jauffret d’ajouter un corollaire impérieux : «Voilà le secret de la vie des artistes. Ce n’est pas la douleur, le sacrifice, l’immolation, c’est la joie.» Écrasant d’évidence ! Pachydermiquement vrai ! C’est aussi la même joie que tu retrouves dans Pet Sounds et dans Electric Ladyland. Nourris ta cervelle, amigo ! Flaubert, Hendrix et Brian Wilson même combat ! La lanterne rouge de ce fastueux Dictionnaire Amoureux est bien sûr Émile Zola, qui, dans un court extrait, se dit ahuri par Flaubert - Terrible gaillard, esprit paradoxal, romantique impénitent, qui m’étourdissait pendant des heures sous un déluge de théories stupéfiantes - Mais c’est surtout pour Jauffret une occasion en or de repositionner Zola en tant que visionnaire, en médecin penché sur les plaies de la société : «L’homme qui tuerait l’ivrognerie ferait plus pour la France que Charlemagne et Napoléon. J’ajouterai encore : Assainissez les faubourgs et augmentez les salaires.»

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             Or donc merci à tous les trois, Pat Caramba pour le McCarthy et ton chaleureux enthousiasme, Damie pour le Jean-François Jacq (ami tentateur, on aurait tendance à vouloir suivre toutes tes recommandations), et Jacques pour le Dictionnaire Amoureux De Flaubert dont tu m’avais si bien vanté les mérites à la terrasse ensoleillée d’un petit hôtel breton, l’an passé.

    Signé : Cazengler, la pipelette de Belleville

    Cormac McCarty. Méridien De Sang. Éditions de l’Olivier 1998

    Régis Jauffret. Dictionnaire Amoureux de Flaubert. Plon 2023

    Jean-François Jacq. Il Fera Bon Mourir Un Jour. ARDAVENA 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - You can’t judge a Brooks by the cover

             Fréquenté Bracmard pendant quelques années. Il était l’ami d’enfance de ma poule d’époque, Baby Rich, donc il dînait couramment avec nous. Bracmard avait un petit côté Javier Bardem, grosse gueule, grosses mèches de cheveux, forte présence, voix forte. Il portait hiver comme été un trois-quart en cuir qui devait peser une tonne et qui datait de l’avant-guerre. Il y stockait des quantités impressionnantes de matos, ses clopes, ses briquets, ses téléphones, ses couteaux. Bracmard était ce qu’on appelle un homme de ressources, il pouvait te brancher sur n’importe quel type de lascar, en fonction de ton besoin ou de ton problème. Plombier ou voyou ? Pas de problème. Il nous recevait parfois dans sa bicoque du Blanc Mesnil. Il y vivait avec une poule qui chantait sur des péniches. Comme beaucoup de vieilles bicoques de banlieue, la sienne était arrivée en fin de vie, mais elle fonctionnait apparemment encore, on pouvait y manger et y dormir, même si de temps à autre, on voyait un gros cafard baguenauder sur le carrelage de la cuisine. Bracmard n’était pas seulement un mover-shaker de banlieue, il était aussi extraordinairement cultivé et disposait de l’atout majeur : une mémoire d’éléphant. Il profitait des grandes tablées du mois de juin pour croiser le fer avec des spécialistes de l’École de Paris. Comme il avait écumé toutes les galeries d’art de Saint-Germain-des-Prés, Bracmard évoquait Zao Wou-Ki ou Bernard Buffet, il jonglait avec les noms et les lieux avec une virtuosité qui fascinait l’auditoire. Bracmard appartenait à la caste des indestructibles. On le voyait vraiment ainsi. Jusqu’au jour où la main de Dieu s’abattit sur lui. Nous lui rendîmes visite une dernière fois. Il gisait au fond de sa bicoque du Blanc Mesnil, réduit à portion congrue, allongé sur son canapé pouilleux, toujours enveloppé de son énorme veste en cuir. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il demanda à rester seul avec son amie Baby Rich. Une heure plus tard, alors que nous étions en route pour regagner nos pénates et que le silence régnait dans la bagnole, je ne pus m’empêcher de demander si le tête-à-tête s’était bien passé. «Oh très bien», fit Baby Rich, «il voulait juste une dernière pipe avant de casser sa pipe.»  

     

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             Pendant que Bracmard montait au paradis des mover-shakers, Chuck Brooks chantait la Soul des paradis artificiels, c’est-à-dire des paradis qui n’existent pas.

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             Chuck Brooks ? L’archétype de l’inconnu au bataillon. Un petit label anglais nommé Soulscape s’est retroussé les manches pour arracher les inconnus du bataillon à l’oubli, et leur Volume 1 titré Malaco Soul Brothers en présente trois, Chuck Brooks, Joe Wilson et George Soule. Et leurs trois histoires, même très brèves, sont passionnantes. On ne parle même pas des cuts qui sont, comme on dit en Angleterre, astonishing, c’est-à-dire qu’ils t’astonishent la quiche.

             Comme Geoge Soule est un petit privilégié et qu’il a son goldmining ailleurs, on va focuser sur Chuck Brooks et Joe Wilson. Rien qu’avec ces deux-là, on se sent comme une oie, bien gavé, mais au bon sens du terme. D’ailleurs, puisqu’on parle des oies, on se demande vraiment comment font les gens pour manger du foie gras, sachant dans quelles conditions cette sordide friandise est fabriquée. Mais bon, c’est vrai, on fait comme on peut. Tu as même des gens qui coupent les homards vivants dans le sens de la longueur parce qu’on leur a dit que cette «technique» rendait la chair meilleure. Le jour où les homards et les oies prendront le contrôle de la planète, on va bien se marrer. Bon bref, on n’est pas là pour ça.

             Pour retrouver Chuck Brooks, il faut remonter dans les années 70. Dans le booklet, John Ridley nous raconte que Chuck a commencé par bosser pour Ike & Tina Turner, puis il est allé à Memphis tenter sa chance. Il est à la fois chanteur et guitariste. Il est pote avec Homer Banks et il enregistre des bricoles pour Stax avec les musiciens d’American. Puis il descend à Jackson enregistrer chez Malaco. Dès «Loneliness (Is A Friend Of Mine)», on est frappé par la présence vocale de Chuck Books : il est coriacement bon. C’est un adepte du raw, il y va même au raw du raw. On retrouve le son classique de Malaco : ni Stax, ni Hi, ni Motown, ni Muscle Shoals, c’est encore autre chose. Avec «Behind Closed Doors», il sonne comme les Tempts, ça rampe sous le boisseau d’argent de Malaco, le vieux Chuck a de la ritournelle à revendre. Il tape dans la Soul de haut rang, il vise l’excès mélodique, c’est magnifique. Les orchestrations rappellent celles des early Bee Gees. Son «I Belive In Love» est assez puissant, mais puissant comme la marée, il y va au believe somebody, c’est du heavy froti, so good, so good. Il sauve son «What Would We Do Without Music» avec sa classe, il fait tout ce qu’il peut avec les moyens du bord de Malaco, il se bat seul sur le front de mer, face aux tempêtes. Et quand il s’en va twister le groove d’«Once Upon A Love Affair», on se lève pour danser avec lui. 

             Bon, malgré tous ces fantastiques singles, ça ne marche pas. Alors Chuck se maque avec son pote Homer et ils montent le label Sound Town à Memphis. Ils composent pour d’autres artistes, notamment Shirley Brown. Chuck joue sur Intimate Storm. Malheureusement, Homer et Chuck sont doués pour la musique, mais pas pour le biz et pouf, ils font faillite. À dégager.

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             Quant à Joe Wilson, c’est un mec de New Orleans qui a commencé par enregistrer sur le petit label éphémère de Cosimo Matassa. Puis Wardell Quezergue le prend sous son aile et l’emmène, avec Jean Knight et King Floyd, chez Malaco. Tommy Couch est le seul à croire en Joe Wilson qui est immensément doué. Les autres labels spécialisés (Stax et Atlantic) font la fine bouche.

             Joe Wilson est un chanteur jouissif, il chante au sensitif absolu, il presse ses syllabes comme des boutons de pus et ça gicle, notamment dans «Let A Broken Heart Come In». Il est très sensible, donc très fin. C’est extra, comme dirait Léo. Il passe au heavy r’n’b avec «Other Side Of Your Mind», c’est vraiment du gros popotin. Et voilà le coup de génie : «Our Love Is Strong». Oh la belle romantica ! Il a le pouvoir. Il évolue dans une ambiance extraordinaire signée Werdell Quezergue. Ce mec contre-attaque toujours à bon escient, comme le montre encore «Sour Love Bitter Sweet». Il est énorme, il monte toujours sur la barricade. Joe Wilson est un pur Soul Brother, il explose «Go On And Live». Il te groove encore «Walking Away From A True Love» en profondeur, aw comme il est bon !

    Signé : Cazengler, de bric et de brooks

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

     

     

    My Chip Taylor is rich

     - Part Two

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             Comme Chip Taylor est un auteur prolifique, ses albums se bousculent au portillon. Pour bien prendre la mesure de son importance, l’idéal serait peut-être de commencer par écouter Hit Man, car c’est une sorte de Best Of de rêve.

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    Il y reprend tous les hits qu’il a distribués à droite et à gauche, à commencer par l’«I Can Make It Without You» repris par Jackie DeShannon et les Pozo-Seco Singers. Heavy pop de génie ! Et ça continue avec l’«I Cant Let Go» qui fut un hit pour les Hollies. «Angel Of The Morning» fut un hit pour Merrilee Rush et P.P. Arnold. Chip Taylor est un bélier de la grosse compo. On tombe inévitablement sur «Wild Thing», qui permit aux Troggs, à X et à l’ami Jimi de se distinguer. Et combien d’autres ? La version du Chip est pure, bien grattée sous le boisseau. Il a des tiguilis en filigrane dans le son. Pure magie taylorienne. Et ça continue avec l’«Anyway That You Want Me» repris par les Troggs, mais surtout par Evie Sands et Walter Jackson - If it’s love you want/ Baby you’ve got it - C’est un hit mythique - From the depth of my soul - Il a aussi composé «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Janis. Chip Taylor est un homme effarant de classe, mais dans tous les genres : pop, country et le voilà king of r’n’b. Il enchaîne avec le hit le plus imparable de tous, «Storybook Children», popularisé par Billy Vera et Judy Clay - We’ve got your words/ And I got mine/ And it’s a shame - Balladif magique. «Country Girl/City Man» est aussi repris par Billy & Judy, mais aussi par Ike & Tina, fabuleux exercice de nonchalance duetté en mode country. On tombe ensuite sur le «Welcome Home» repris par Walter Jackson. Il te le cueille au menton. Et sa maestria éclate encore au grand jour avec «Just A Little Bit Later On Down The Line».

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             L’autre conseil d’ami qu’on pourrait donner aux becs fins serait d’écouter les deux albums du premier groupe de Chip Taylor, Gorgoni Martin & Taylor, deux Buddah de 1971. Le premier s’appelle Gotta Get Back To Cisco. Ils ouvrent leur balda sur un authentique coup de génie, «Caroline Timber», c’est fabuleusement joué, gorgé de son, ils chantent à trois, cut magique de Chip, avec Trade Martin on lead vocals. On sent bien la puissance compositale de Chip Taylor et l’ampleur des arrangements sur «I Can’t Do It For You». C’est très Righteous Brothers. Ils chantent tous les trois à l’unisson du saucisson sur «Stick-A-Lee», comme le feront CS&N. C’est exactement la même approche, avec les mêmes coups d’acou. Ils adorent rentrer à San Francisco comme le montre «Cisco». Chippy chante ça au doux du menton et tape un final éblouissant. Nos trois larrons adorent la belle pop. Et puis tu as un «Got The Feeling Something Got Away» qui préfigure Guided By Voices. Même esprit.

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             Leur deuxième album n’a pas de titre. On y retrouve la belle pop de Chip («Fill In The Fast Line». Grosse compo. C’est du niveau de Mann & Weil. «I Can’t Let Go» est plus rocky. Ah ils savent rocker leur roll ! Cette belle pop écarlate contrebalance tout. On se régale encore de l’«I Can Make You Cry» monté sur un heavy beat chippy, sévèrement gratté à coups d’acou. Quelle énergie ! Franchement, ces deux albums valent le détour.            

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             Puis Chip Taylor va entamer une carrière solo et tourner avec une moyenne de deux hits par album. Gasoline est encore un Buddah de 1972. Il y recase son «Angel In The Morning». Ah il sait placer sa cerise sur le gâtö. Ça sonne presque comme du Righteous Brothers. Mélodie solide et orchestration du diable - Just call her angel in the morning - Et ça monte aux anges des Righteous Brothers. S’ensuit une Beautiful Song, «Home Again», une pop d’horizons lointains, stupéfiante d’immensité. Il gratte à la suite son «Lady Lisa» à sec, c’est du good time pas loin des Byrds, assez électrique, en vérité. Il passe à son cheval de bataille, la country, avec le morceau titre, un cut solide et bien intentionné. Chip Taylor est déterminant dans tous les domaines, surtout celui de la Gasoline country. Il ne s’intéresse qu’aux chansons, comme le montrent encore «Dirty Matthew» - Sometimes it don’t come easy - et «You Didn’t Get There Last Night». Puis on le voit poser sa voix de deep country man dans «Swear To God Your Honor». Une merveille, pas loin de la révélation, c’est du pur busy cryin’ in the beer.

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             Mine de rien, Chip Taylor’s Last Chance est un bel album. Belle pochette, on voit Chip à la table de jeu, avec des faux airs de Robert Redford en Sundance Kid. Il y va au soft country groove, easy baby. Chip est doux, excellent et inspiré. Dans «I Read It In Rolling Stone», on le voit swinguer ses vers à la folie - Where every brown eyed teased hair mare ran him of his stool - Il boucle ce fringuant balda avec «I Wasn’t Born In Tennessee», un fantastique swagger de country cat. En B, tu vas tomber sur «It’s Still The Same», l’une de ces Beautiful Songs dont est capable l’ami Chippy Chip, et puis avec «101 In Cashbox», il fait une sorte de «Success» à la Iggy - And it comes from the soul/ And it ain’t rock’n’roll - On se régalera encore de «Clean Your Own Tables», un belle country song où il raconte sa vie et celle de la barmaid qu’il épouse.

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             Pochette pépère pour Some Of Us, un Warner Bros de 1974. On est vite frappé par la qualité de la Chippy country. Avec «Early Sunday Morning», Chip chope le truc. Sa country est joyeuse. On se peut se fier à lui. Chip est un chic chap. On sent bien la poigne du songwriter. Grosse emprise encore avec «Something ‘Bout The Way This Story Ends». Chip sait tailler un costard, pas de problème. En B, ils évoque deux villes : Varsovie et Austin. Dans «If You’re Ever In Warsaw», il raconte l’histoire d’un mec qui apprend aux aveugles à voir. Et avec «If I Can’t Be In Austin», il propose un joli groove country. On le sent jubiler.  

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             This Side Of The Big River arrive en 1975 avec une belle pochette à l’américaine. Alors on se régale, même quand on n’est pas fan de country. Il attaque avec «Same Old Story», un joli tagada country, c’est même extrêmement agréable à écouter. Il oscille toujours entre la gorgeous country et le balladif intimiste crooné au coin de la glotte («Holding Me Together»). Très bel artiste, pas loin de Kristofferson. Disons qu’il propose une country de proximité, il avoisine le George Jones avec «Getting Older Lookin’ Back». Chip a un truc que d’autres n’ont pas : le talent. Tout ici est sans surprise mais beau. Il boucle son beau balda avec «Big River», plus rockalama. Solide claqué de chique, belle dégaine et big bass drum. Ces mecs ta cassent vite une baraque de clear blue sky. Ça flirte avec le rockab d’Elvis. Pas mal, non ? Dommage que la B soit si transparente. On y sauve «Sleepy Eyes» : heavy country et belle chaleur de ton.

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             Le Somebody Shoot Out The Jukebox de Chip Taylor With Ghost Train est un album résolument country. Il salue Atlanta dans «Hello Atlanta», it’s good to see you again, mais après, ça devient trop country pour une gueule à fuel. Le morceau titre est un gros boogie rock de saloon. La hit de l’album s’appelle «Still My Son». Chip ressort du moule country pour aller sur la belle pop violonnée. Il sait entraîner un cut au firmament, c’est très Brill dans l’esprit, il faut le voir monter sa clameur de Still my son en neige inexpected, c’est vraiment très impressionnant. Chip Taylor fait de la Beautiful Song quand ça lui chante. C’est un surdoué, au même titre que Burt ou Jimmy Webb, il est très porté sur l’orchestration et les sautes d’humeur vocales, son let me carry you home est suivi à la flûte devenue folle, on voit littéralement le songwriting s’envoler et aller  virevolter dans un azur immaculé. 

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             Saint Sebastien n’est pas son meilleur album. Il l’attaque à la petite pop pépère de «Mary Ann». Chip compose à profusion, il n’est donc pas gêné aux entournures. Il songwrite à gogo. Pas de hit sur cet album martyrisé, du sans surprise, mais du beau sans surprise. Il sonne comme Fred Neil sur «He Ain’t Makin’ Music Anymore», même velouté de poireaux dans le coulé de voix. Avec le morceau titre, il fait bien le tour du balladif, Chip est un inconditionnel de l’intimisme velouté. Il ne peut pas s’empêcher d’enregistrer des albums intimistes. Si l’intimisme ne te plaît pas, t’es baisé.

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             Deux jolis choses sur The Living Room Tapes : Something About Losing It All» et «Grandma’s White LeBaron». Il gratte dans sa cuisine, c’est un intimiste, alors il établit le contact et parfume son balladif de flavor country. Il sait se montrer profond et sincère, alors on l’écoute attentivement. Il chante sa Grandma d’un ton grave et lance un manège enchanté. Il faut saluer son fabuleux entrain country. Petite merveille encore avec «Good Love Last Night». C’est là qu’il convainc, dans l’intimisme - And I took her in my arms last night - Quelle puissance d’évocation - I said girl I like the way you kiss - On n’en saura pas davantage. Son «Shut You Down» est assez pur de shut you down my old friend.

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             Tu vas trouver deux duos d’enfer sur Seven Days In May. A Love Story : «If You Don’t Know Love» où il duette avec Lucinda Williams, et «One Hell Of A Guy» où il duette avec Guy Clark. Comme Lucinda est bien languide, ça donne un duo à la ramasse de la rascasse, ce qui n’est pas déplaisant. L’Hell Of A Guy est le fin du fin du duo country. Mais ailleurs, on s’ennuie un peu. Trop de country, ou pas assez de magie ? Il nous a trop habitués aux cuts magiques. Dans «Florence The Baby & Me», il fait la plus belle des déclarations : «You’re the most beautiful I ever did see.» Une autre merveille se niche plus loin : «Alexander» - You look so beautiful - Joli confessionnal, c’est une Beautiful Song contrebalancée à coups d’accordéon. Le plus drôle avec Chip, c’est que t’as chaque fois l’impression d’écouter la même chanson, et tu tombes sous le charme.

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             Curieusement, on trouve pas mal de belles énormités sur Black & Blue America. À commencer par «The Ship», un duo avec une Lucinda Williams qui a l’air complètement dans les vapes. La grosse compo du jour s’appelle «In Your Weakness», il faut voir comme il l’éclate, c’est le grand Chip qu’on préfère. Il fait un brin de good time music avec «Stroke City Girls». C’est assez magique, il faut bien l’avouer. Il combine la grande pop avec ses affinités country. C’est effarant de stories just behind. La cerise country sur le gâtö pourrait bien être «You Left Me Here». Chip est tellement à l’aise. C’est le plus à l’aise de tous. Avec le morceau titre, il se morfond sur le destin de l’Amérique - Back in 1966, the answer is blowing in the wind - Et il passe du petit boogie fier comme Artaban («It Don’t Get Better Than This») au heavy balladif country («Sometimes I Act Just Like A Fool»). Il dit aussi avoir besoin d’open space et de chevaux. Son «Blind At The Midnight Hour» est magnifico - If you need a place to hide/ Come to my home/ And take some comfort here - Il attaque son «Way Of It» à la Lou Reed. Ce mec Chip est un magicien, il fait de chacun de ses cuts une aventure passionnante. On le comprend mieux sur la durée. Il est certainement plus intéressant que Cash. Chip duette avec P.P. Arnold sur «Temptation», un vieux gospel de fin de partie. Il y va au I did run. Il a des blackettes derrière et ça prend des proportions insoupçonnables, d’autant que P.P. Arnorld te l’explose en plein vol. Quel mélange extraordinaire que ce country king et cette ex-Ikette. Quel accomplissement et quelle apothéose ! Il monte avec elle mais il peine à la suivre. La reine, c’est P.P. 

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             Unglorious Hallelujahs est un double Train Wreck de 2005. Un bel album de country, où il surpasse Cash sur «Hallelujah Boys» et «Jacknife». Il fait exactement le même bazar - I don’t wanna kill nobody - On se croirait sur «I Hung Myself». Il rend un hommage émouvant à Townes Van Zandt dans «What Would Townes Say About That». Il raconte ses souvenirs de Townes dans un motel à Reno. Retour de la clameur country magique dans «Christmas In jail». Et il revient à son cher intimisme d’I don’t know about that avec «Michael’s Song». Sur le disk 2 se niche une pure merveille : «Red Red Rose» où il duette avec Carrie Rodriguez. Pur country genius. Elle vole le show. Il tape plus loin un heavy slowah de très haut niveau, «If I Stop Loving You». Encore une grosse compo ! Ça vaut vraiment le coup de le suivre. On se s’ennuie pas en compagnie du vieux Chip. Encore deux balladifs étoilés avec «Magic Girl» et «It’s Different Now», et il salue cette bonne ville de Santa Cruz avec «Santa Cruz» - There’s still mountains we have to climb - Magnifico.

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             Rien de plus country que New Songs Of Freedom. Avec «Former American Soldier», il rend hommage à des soldats du Vietnam. L’horreur. Son apologie des GIs donne un peu la gerbe. On sauve un cut sur l’album : «Dance With Jesus», un fantastique shoot de country. Tu as là tout l’éclat de la meilleure country américaine.  

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             Très bel album que ce Rock & Roll Joe. Pour deux raisons éminentes : «Monica» et «I Can’t Let Go». «Monica» est inspiré d’un riff trouvé pour Van Morrison et joué sur un vieux beat appuyé. Le hit c’est bien sûr «I Can’t Let Go», lancé en mode heavy rock de saloon, c’est excellent, ça carillonne au big day out et Kendel Carson duette dans cette affaire. On se régale aussi du «Sugar Sugaree» basé sur le «Try A Little Bit Harder» co-écrit par Chip et Jerry Ragovoy. Un violon vient crin-crinter l’«Hot Rod Carson» et Karen Carson tient encore la bavette à Chip dans «Measurin’». Et comme le montre «The Union Song», le Chip sait rocker une baraque ! Et puis dans «R&R Joe Reprise», Chip cite les unsung heroes, Paul Griffin et d’autres. Il raconte des souvenirs de sessions avec des great guys, dont John Paul Jones et des tas d’autres complètement inconnus au bataillon.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Gorgoni Martin & Taylor. Gotta Get Back To Cisco. Buddah Records 1971

    Gorgoni Martin & Taylor. Gorgoni Martin & Taylor. Buddah Records 1971                          

    Chip Taylor. Gasoline. Buddah Records 1972 

    Chip Taylor. Chip Taylor’s Last Chance. Warner Bros. Records 1973

    Chip Taylor. Some Of Us. Warner Bros. Records 1974

    Chip Taylor. This Side Of The Big River. Warner Bros. Records 1975

    Chip Taylor With Ghost Train. Somebody Shoot Out The Jukebox. Warner Bros. Records 1976

    Chip Taylor. Saint Sebastian. EMI 1979 

    Chip Taylor. Hit Man. Train Wreck Records 1997 

    Chip Taylor. Living Room Tapes. Train Wreck Records 1997

    Chip Taylor. Seven Days In May. A Love Story. Train Wreck Records 1999

    Chip Taylor. Black & Blue America. Train Wreck Records 2001    

    Chip Taylor. Unglorious Hallelujahs. Train Wreck Records 2005

    Chip Taylor. New Songs Of Freedom. Train Wreck Records 2008 

    Chip Taylor. Rock & Roll Joe. Train Wreck Records 2011

     

    *

    Il est des disques mystérieux, celui-ci est carrément obscur. Imaginez un poème d’Edgar Poe dont on aurait effacé les paroles, dont il ne resterait que l’ambiance, le corbeau s’est envolé, mais le lieu qu’il a quitté est la seule empreinte qu’il nous ait laissée. Vous aussi quand vous ne serez plus là, ne survivront de vous que les lieux par où vous aurez passé. Vous êtes-vous demandé pour combien de temps…

    SCIONS

    O

    (Digital Album / Bandcamp / Mars 2024)

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    Ne comptez pas sur la pochette pour vous aider. Elle est toute noire. Bien sûr je vois bien qu’il y a du blanc, qui n’ajoute que de la noirceur à cet étrange artefact. Sur You Tube, ils sont gentils, ils précisent qu’ils sont quatre, de Sydney en Australie. L’on s’en doutait en regardant le bandcamp. Je vous expliquerai pourquoi plus loin. Le nom du groupe est peu commun. Ne soyez pas idiots, rien à voir avec le présent de l’indicatif ou de l’impératif du verbe français ‘’scier ‘’. Quoique si l’on y réfléchit le hasard linguistique s’avère  parfois malicieux. Scion est un terme botanique, ils le rappellent aussi sur YouTube, en terme beaucoup plus commun un scion est une greffe. Attention, le mot scion désigne aussi bien la greffe que l’on insère dans un tout jeune arbre que le rameau qui naîtra de cette greffe qui portera un composite des gènes de l’arbre greffé et du greffon.

             Un scion est donc le rejeton issu de deux essences d’arbre. Par extension le mot scion désigne aussi un enfant de grande famille tant soit peu dévoyé. Le mot scion s’accorde comme tous les noms communs : un scion, des scions. Nous savons donc ce que signifie le nom du groupe. Nous avons beau scruter la pochette cela ne nous aide guère.

             Comment lire le titre de l’album : est-ce la lettre o, est-ce le zéro, est-ce le dessin d’un cercle ou d’un anneau. Ce qui est certain c’est que ce signe est à décrypter symboliquement. Choisir l’un de ces quatre termes ne mène à rien, ce qu’il faut, quel que soit le signe que l’on élit, c’est en trouver la signifiance.

             Eliminons toutefois trois grossières fausses pistes : Scions n’a rien à voir avec Sion, que ce soit la Jérusalem céleste, la colline inspirée de Maurice Barrès, ou le Prieuré de Sion de Pierre Plantard.    

             Toutefois on ne s’embarque pas sans biscuit : sur bandcamp le groupe se présente d’une étrange manière, un court texte que certains jugeront énigmatique :   ‘’ Ô porteurs de la Malédiction, vous qui êtes morts mais vivez encore. Faites un pèlerinage à travers le Vide jusqu’au pied du grand Arbre et laissez votre destin se révéler. Au début il n’y avait que le Vide. Puis vint le Feu… et avec le Feu vinrent les germes de la disparité : la chaleur et le froid, la vie et la mort, la lumière et l’obscurité. Mais rien n’est éternel  et pourtant rien n’est perdu…’’

             Considérons la mystérieuse circonférence du titre comme le boîtier d’une boussole et le texte comme les indications directionnelles et l’aiguille qui nous guidera.

    0 : l’on n’entend rien, ce n’est pas que le disque n’ait pas encore démarré c’est qu’il n’y a rien, juste rien, mais il faut attendre ou pousser les potards à onze pour que se manifeste une espèce de montée en impuissance, écoutez la version du Ring de Wagner, juste le tout début de L’Or du Rhin mais sous la houlette de Wilhelm Furtwängler, car il est le seul qui ait compris l’importance des toutes premières notes de la Tétralogie et il fait si fort résonner l’insignifiance de leur apparence qu’il vous explose la tête, pour ceux qui seraient choqués, employons une expression emplie de plénitude, qu’il vous ouvre les chakras, cela vient doucement, heureusement qu’il y a cette espèce de klaxon comme une corne de brume pour attirer votre attention, et puis cette voix solennelle qui vous parle mais que vous ne comprenez pas…  Alpha and Omega : vos êtes passé au morceau suivant sans vous en rendre compte, dès lors vous réalisez que le petit o du titre, c’était le zéro absolu, le rien, le néant et que maintenant vous êtes dans le o-riginel, au tout début, à l’alpha du commencement, mais aussi dans l’o-mega de la fin, pourquoi si près du début  atteint-on si vite la fin, et pourquoi cette musicalité fondationnelle semble-t-elle battre de l’aile comme un oiseau qui ne parvient pas à s’envoler, ouf la batterie entre dans le jeu, elle marque la lenteur du rythme mais elle entraîne la basse et tout le bataclan, elle se permet même quelques roulements, la basse joue au vrombissement de l’élastique qui se prend pour un moustique géant qui veut atteindre le haut du ciel, tambour tribal et presque joyeux, fin brutale comme si la bête s’était cognée le nez contre le mur de la fin.  Comme dans le titre précédent  vous réalisez ce que veut dire le morceau qui vient de se terminer. Vous avez parcouru le cycle du début à la fin et vous voici Gros-Jean comme devant, groggy de vous retrouver à l’endroit dont vous êtes parti. Bizarre tout de même. Qu’est-ce que cela signifie ? Thy Master Calls Across Countless Aeon : un bourdonnement qui vient de loin, de très loin, il met des siècles à te parvenir, tu es perdu et l’aide te parvient, tu ne sais pas qui t’appelle, tu le reconnais, tu étais seul, il se soucie de toi, il t’appelle, sa voix traverse des siècles et des siècles, une flèche rapide qui a tant de distance à parcourir pour celui qui l’attend qu’elle a l’air de traverser l’éternité du temps, de faire le tour du monde, avant d’arriver et de se ficher en toi, rien ne bouge si ce ne sont les plumes de son empennage encore vibrantes de leur course, le maître t’appelle et te délivre son message. Seek the River of Fire : cherche la rivière de feu, ne t’inquiète pas tu brûles, la musique a l’air de s’amuser, tout juste si elle ne te chantonne pas un air allègre pour se moquer de toi, quel vacarme, quel boucan, tu brûles, pas besoin de chercher bien loin, elle n’est pas au bout du monde tu y es juste dessus, en plein dedans, tu t’y baignes, passe à l’étape supérieure, souviens-toi d’Héraclite, la notion grecque du sec et de l’humide t’y mène tout droit,  l’on dirait que les musicos s’amusent à imiter un orchestre oriental, oui tu y es, un charmeur de serpent, le cycle du feu qui brûle, qui s’éteint qui se rallume, qui brûle, qui s’éteint, oui tu as deviné, le grand serpent, l’ouroboros, calme-toi, oui c’est grave, médite un peu, essaie de saisir le concept philosophique de l’Eternel Retour, de comprendre ce qu’il veut dire… On wings of steel and chrome : oui les âges métalliques se succèdent, quelle ferblanterie de l’âge d’or à l’âge de fer, tout dégénère, les hommes vivent en paix et puis se disputent, c’est ainsi tu n’y peux rien, c’est le destin collectif de l’Humanité de courir à sa perte, un jour obligatoirement, indubitablement l’énergie du feu régénérateur faiblira, s’épuisera et s’éteindra. Escape Thy Fate : regarde l’autre côté de cette pièce de monnaie ronde que l’on enfourne dans la bouche des morts avant de les porter au bûcher, une face pour tous, une autre uniquement pour toi seul, échappe à ton destin de mort-vivant, puisque quand tu vis éternellement, tu meurs aussi éternellement, pense à toi, échappe à ton destin, rien n’est perdu puisque tout est perdu. Ecoute comme la musique se fait belle et luxuriante, elle est la vie, l’on ne te demande pas de jouer à pile ou face, mais de trouver le lieu de ta fuite qui te sauvera de ce piège sans retour. Through the Valley of Silence : dans la vallée du silence près de l’arbre de vie, de l’Yggdrasil du monde, étrangement le morceau est plein de bruits, de tintements, comme le marteau de Siegfried qui forge l’épée qui tuera le dragon, la vallée est dite silencieuse car entre les coups survivalistes du marteau l’on entend le silence de la mort qui ne veut pas mourir. May the Winds Deliver Thee : l’on entend le vent siffler dans les branches de l’arbre, est-ce celui de l’espoir, du surpassement, peut-être pas pour cette fois-ci, peut-être qu’au prochain tour, au prochain retour, l’on trouvera le moyen de s’échapper du serpent sans qu’il ne te rattrape au dernier moment. Fom the Calamity : trop tard, beaucoup de bruit pour rien puisque le cataclysme final te mènera au rien, sonnailles de troupeaux de moutons destinés à l’abattoir métaphysique, un rouleau concasseur qui passe et pousse, des chœurs processionnels qui tremblent de frousse. Le chemin est long, il tourne sur lui-même, il s’enroule, décrit-il un cercle ou une spirale qui s’écarte et s’enfuit de son centre…

             Chacun en jugera selon son optimisme ou son pessimisme…

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             Mais comment interpréter le titre de cet album. De quelle greffe parle-t-il ? Peut-être faut-il la chercher dans l’espèce de blason symbolique qui leur sert à présenter le groupe. Un cercle, d’or. Selon le diamètre vertical s’épanouit un arbre, l’Yggdrasil mythique, sous sa ramure se tiennent debout une nouvelle race d’hommes d’or et de turquoise.  Sur le FB du groupe, pratiquement vide, seulement deux images, celle de la couve du disque, une deuxième qui nous révèle l’entièreté de l’artwork dont elle n’est que la partie centrale. Un paysage désertique comme vitrifié par une bombe atomique. Comment interpréter cette rivière orange qui serpente depuis les soubassements de l’Arbre, le feu s’est-il changé en eau de feu… Aucune feuille sur l’Arbre réduit à sa structure exo-squelettique, d’ailleurs les nouveaux rejetons qui nous tournent le dos ne possèdent-ils pas un exo-squelette, sont-ils les fils de l’Arbre, sommes-nous à la fin du Ring, à la scène finale de l’anneau wagnérien, entrons-nous non plus en le cycle mais en une nouvelle ère, avec ce nouveau type d’êtres humains alchimisé par l’opérativité cataclysmique de l’anneau brisé… La greffe a-t-elle consisté à introduire le greffon des mythes nordiques dans le mythe de l’Eternel Retour ?

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             Ce qui est sûr c’est que nous retournerons écouter les nouvelles sorties de Scions. Ne serait-ce que pour leur montrer de quel bois nous nous chauffons.

    Damie Chad.

     

    *

    Life like poetry. Généralement les rockers se comportent comme des rockers. Prenons un exemple au hasard, quand Eric Calassou résidait en France il possédait un groupe de rock Bill Crane. Il a donné quelques concerts, nous en avons chroniqué quelques-uns, il a produit des disques, nous les avons chroniqués. Jusque-là nous restons dans le registre de la normalité. L’est parti en Thaïlande, dernièrement il a sorti deux disques, l'un très rock, le dernier constitué de reprises des pionniers du rock. Une vie de rocker parfaitement calibrée.

    0ui, toutefois il y a eu des signes avant-coureurs. S’est mis à faire des photos. Pas tout à fait comme tout le monde. Pas le mec normal qui photographie son chien, sa femme et la Tour Eiffel. Ce n’est pas qu’il se désintéresse du monde, loin de là, il le regarde de près. De trop près. Relisez Le Sphinx d’Edgar Poe. Le héros qui se réveille d’une bonne sieste, ouvre et ses yeux et s’aperçoit qu’un monstre monumentalement horrible s’apprête à le mâchouiller comme un vulgaire chewing-gum, heureusement qu’il n’avait pas son portable, les pompiers et la police se seraient bien moqués de lui en lui montrant que son monstre n’était qu’un inoffensif papillon posé sur la vitre près de laquelle il s’était endormi dans son fauteuil. Calassou s’est amusé à ce petit jeu : photographiez dix-centimètre-carrés de bitume et vous apercevrez ce que vous n’avez jamais vu.

    Dernièrement nous avons chroniqué un album de ses photos. Là il aggrave son cas. A première vue des formes informes et colorées. Des couleurs plutôt sombres. A la réflexion l’on se demande s’il ne s’efforce pas à donner une idée d’un quelque chose que personne n’a jamais vu et dont on peut douter de l’existence, alors que des calculs de haute mathématique   inclinent les scientifiques à supposer sa présence. Il s’agirait donc d’une espèce d’alchimie photographique destinée à produire des représentations de cette matière noire invisible que les physiciens traquent depuis un demi-siècle.

    Je laisse votre cerveau infuser. Revenons à des choses moins abstruses. Non seulement Eric Calassou joue, chante et enregistre de la musique, mais il compose. J’entends vos réactions, qu’un artiste de rock compose des morceaux de rock, cher Damie, rien de plus normal, certainement mais il compose des morceaux de musique classique qu’interprètent des musiciens classiques. Je ne veux pas crier à la trahison, nous en avons chroniqué, et la cloison entre musique classique et rock’n’roll n’est pas si étanche que l’on veut bien l’accroire. Simplement vous prévenir, que nous allons rendre compte de quelques morceaux tirés de la chaine You Tube Bill Crane, et qu’à traverser les cloison étanches l’on se retrouve à pénétrer dans des zone-limites.

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    Danse médiévale : un truc tout doux, parfaitement calibré, facile à suivre, juste une guitare, deux minutes et une demi-poignée de secondes, une belle image de danseurs que je qualifierai de turcs certainement à tort, mes connaissances ethnologiques étant des plus faibles. Ce n’est pas du rock, c’est beau. Tout simplement. Musique pure.

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    Ding dang dong : faut se fier aux titres. Ce truc est totalement dingue. L’image est à la ressemblance de notre monde, une toile de jute ou une natte d’osier sur laquelle sont entassée cinq à six récipients en plastique, bouteilles et bidons. Serait-ce un clin d’œil pour nous dire dans le creux de l’oreille que c’est bidong. Osons le pas, entrons dedang. Un truc à devenir fou, un labyrinthe sonore, une boite à rythmes et une voix qui se prend pour une balle de ping-pong devenue  foutraque, elle rebondit de plus en plus vite, squash vocal, est-ce un crétinoïde dont la voix tintinnabule, ou la bande-son Ferrari qui finit par dérailler, meuglement de vache, z’avez l’impression que sa langue vous lèche la figure, exercice de style à la Queneau, un trente-trois des Double-six passé en 78, peut-être que ça se termine parce que des infirmiers sont venus lui passer une camisole de force pour l’emmener sous une douche froide, sur la fin vous êtes sauvé, une effulgence de guitare électrique vous tire de cette embuscade. Morale de cette aventure : par rapport à la vidéo-précédente vous avez changé d’univers.

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    Message from Mars : que disions-nous !  Tout à l’heure la voix déblatérait, elle ne communiquait pas, juste du bruit buccal, dans cette troisième vidéo, nous recevons un message. Pas de n’importe qui, des fameux petits hommes verts, la musique est inquiétante mais les structures de la langue martienne nous sont incompréhensibles, le pire c’est que  côté élocution nous sommes en avance sur eux de quelques millénaires. En sont au stage du bégaiement. Nous qui attendions des extra-terrestres qu’ils viennent améliorer notre situation, seraient-ils un peuple de sous-doués. Sans doute nous demandent-ils des conseils, ils ont besoin de notre expertise, ils ne possèdent pas un langage aussi élaboré que le nôtre. Très décevants.

    Ne nous demandons pas : que veulent dire les martiens, mais que veut dire la réalisation de ce morceau : qu’un solo de guitare électrique est une agonie sans fin, que la musique instrumentale produit le son mais pas le sens. Que le langage non évolué n’est qu’un ensemble de borborygmes inconsistants. Qu’il est comme l’image qui l’accompagne, un puits avec fond, un puits bouché, qui empêche l’accès à une source de connaissance totale.

             Notre chronique des trois vidéos suivantes éclairera les trois premiers mots de l’ouverture de cette chronique : life like poetry. Que nous empruntons à Lefty Frizzel. Aperçu théorique : Mallarmé fut artistiquement subjugué par l’entreprise d’Art-Total théorisé et mis en pratique par Wagner. Selon Wagner l’opéra était un art total : il mêlait : musique, chant, danse, poésie (les livrets), théâtre (mise en scène) peinture, sculpture (pour les décors) architecture (l’édifice du théâtre de Bayreuth conçu selon les représentations…) jusqu’à l’art équestre avec introduction de véritables chevaux sur scène… Maintenant si vous dites Wagner : tout le monde répondra : musique et si vous dites Mallarmé la réponse unanime sera : poésie.

    Conclusion mallarméenne : la poésie se devait ‘’de reprendre son droit’’ à la musique. Entendez par là qu’étant la voix profonde du monde, (l’expression est d’Edouard Dujardin fondateur et directeur de La Revue Wagnérienne) : c’est en elle que devait s’inscrire la pensée actante de la globalité du monde. En d’autres termes la poésie était à elle seule l’art-total dont le monde avait nécessité pour être exprimé et par là même supprimé. Dans ses esquisses du Livre, dans Le coup de dés, dans Les Noces d’Hérodiade, Mallarmé s’est adonné à cette tâche…

    Eric Calassou écrit de la poésie. Nous n’avons jusqu’à maintenant chroniqué aucun de ses recueils. Donc musicien et poëte. Penchons-nous sur trois vidéos dans lesquelles ii a mis en voix et en musique trois de ses textes.

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    Dans la nuit : (extrait du recueil Les anges de l’enfer) : la couve comme une tenture épaisse, pas aussi noire que l’on s’y attendrait, bleu sombre et reflets d’or : une basse à pas lents, une guitare qui crisse et se plaint, comme du verre sur lequel on marche, le morceau n’est pas très long mais si l’on en croit la longue énumération la nuit est longue, la voix n’est pas blanche, elle joue ses émotions, la nuit est porteuse de peur et de rêves inaccomplis durant les jours. La fin est surprenante, elle pose davantage de questions qu’elle n’en résout. Dans la nuit on ne fuit pas la noirceur du monde mais soi-même.

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    Nuit blanche : couve : soleil noir, ou araignée noire écrasée sur la matière blanche de votre cerveau. Cette nuit est plus éprouvante que la précédente, la boîte à rythmes boitille imperturbablement, le poëte nous la joue tragique, le drame n’est que l’expression de la comédie de la solitude que l’on se donne à soi-même, la guitare grésille, elle est comme ses yeux qui sont les derniers s’éteindre dans le poème de Tennessee Williams, le poëte est-il rattrapé par ses fantômes qu’il tente de fuir, l’on entend ses râles, petite ou grande mort, là est la question… Toujours est-il qu’il ne prononce plus une parole.

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    Ciel éclair : visage brouillé, derrière une vitre pluvieuse : la guitare aigüe telle une lame égoïne qui scie votre boîte crânienne pour savoir si Dieu s’est caché à l’intérieur, la double postulation baudelairienne, pluie de crachats, révolte et soulagement, des trois textes c’est le plus réussi, le mieux mis en bouche, la poésie est parfois comme un bonbon acidulé dont il est difficile de se débarrasser. Midnight rambler arpente le miroir de son âme…

             Grâce à Eric Calassou et ces six vidéos nous avons fait un long voyage. De la musique à la poésie. De la musique en poésie. N’oubliez pas, un autre chemin, life like poetry.

    Damie Chad.  

     

    NEWS FROM MARIE DESJARDIN

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             Ce n’est pas poli de suivre les filles, c’est vrai mais chez Kr’tnt ! on suit Marie Desjardins, avec assiduité, l’on ne peut s’en empêcher, en tout bien tout honneur, d’autant plus qu’elle réside au Canada, en plus c’est de sa faute, comment ne pas la remarquer, même de si loin, elle écrit de bons livres et d’excellents articles, en plus elle nous provoque, elle s’intéresse au rock’n’roll, comment voulez-vous que l’on ferme les yeux, c’est notre devoir de chroniqueur.

             Attention elle est maline, elle vient de m’apprendre quelque chose sur le rock que je ne connaissais pas, de surcroît sur un groupe que je connais bien. Que j’ai suivi disque par disque durant des années. Deuxième honte de ma vie, c’est un article qui est paru en août 2023 sur La Métropole, un magazine culturel  québécois que vous trouverez sur le net. J’avoue que si l’article n’avait pas été signé par Marie Desjardins je n’y aurais accordé aucune attention.  Je n’aime point trop Jésus Christ, encore moins lorsque à son nom est accolée la mention rock star, oui mais voilà c’est de Marie Desjardins, alors je lis. Et puis il y a le sous-titre Dans l’ombre ou la lumière. Déjà je choisis l’ombre.

             Tiens un vieux truc, cinquante ans d’âge, un film. J’ai des excuses de ne pas l’avoir vu, je ne vais jamais au cinéma. Donc un film sur Jésus Christ, un opéra-rock, déjà que j’ai trouvé les paroles de Tommy des Who, un peu gnangnan, oui mais il y avait les Who. C’est-là que je pousse un rugissement, j’ai bien lu, ce n’est pas un trouble visuel ce pourpre profond qui  empourpre mon cerveau, j’ai bien déchiffré, Deep Purple, ils auraient enregistré un disque sur Jésus Christ, non ce ne sont pas eux, c’est Ian Gillan le chanteur qui fut contacté pour les parties vocales, si vous voulez savoir la suite lisez l’article.

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             Vous y arriverez en passant par le FB Marie Desjardins Portraits Rock.

    Pas très loin vous avez un lien sur le nouveau site d’Offenbach, non pas Jacques qui composa des bouffonneries, l’autre : le plus grand groupe de rock du Canada (1970 – 1985 ). Ne comptez pas sur moi pour vous raconter la saga de ce groupe, vous trouverez le lien pour atterrir sur le site, une longue bio rédigée par Louis de Bonneville, Marguerite Desjardins l’a un peu aidé. Pour la remercier Louis Bonneville a construit un site consacré à Marie Desjardins. Ecrivain.

             Un petit conseil, n’oubliez pas de cliquer sur l’onglet ‘’nouvelles’’ vous n’avez pas que les titres, les textes sont à votre disposition… Nous en avons déjà chroniqué quelques-uns sur Kr’nnt !  Vous ferez des découvertes, je viens d’en faire deux, je vous en reparlerai bientôt.

             Ce site est vraiment bien fait, clair net et précis. Il permet d’embrasser le parcours de notre écrivain. Il n’y a pas que le rock’n’roll qui l’intéresse, ce qui est sûr c’est que désormais vous vous intéresserez à Marie Desjardins.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    74

    Repli stratégique avait dit le Chef. Nous cavalions comme des fous vers l’Esplanade du Trocadéro. Nous ne savions pas pourquoi, mais le Chef le savait et cela suffisait. Il est des êtres qui sont comme des phares dans la tempête. Leur Intelligence salvatrice rougeoie dans la nuit noire comme la braise réconfortante d’un Coronado. Cette dernière comparaison ne tient pas la route, je m’en excuse auprès des lecteurs, je devrai l’améliorer quand je  relirai une dernière fois Les Mémoires d’un GSH avant de le confier à un éditeur impatient de lancer l’impression de ce chef-d’œuvre absolu, ce splendide cadeau jeté en pâture à l’’Humanité qui ne le mérite pas. Parfois dans des moments de doute je déraisonne en pensant que personne n’aurait assez d’intelligence pour en saisir le sens profond, que ce magnifique manuel de survie n’empêcherait pas l’espèce des hominidés de courir à sa perte.

    Les filles pensaient que pendant que nous contemplerions la tour Eiffel nous reprendrions notre souffle appuyés sur la rambarde. Il n’en fut rien, il fallut descendre au triple galop les escaliers et nous ne nous arrêtâmes que lorsque le Chef eut choisi sur la vaste pelouse un assez large espace éloigné de tout touriste avachi… J’intimai à Molossa et Molossito l’ordre de monter une garde vigilante autour de notre réunion impromptue.

    Avant tout le Chef alluma un Coronado :

             _ La situation est grave !

    Loriane lui coupa la parole :

             _ Parce que nous sommes partis du café sans payer ?

    Doriane lui répondit :

             _ Mais non, si le garçon nous avait poursuivis, le Chef l’aurait abattu immédiatement d’un coup de Rafalos, c’est un homme lui !

    Le Chef lui adressa un merveilleux sourire :

             _ Vous avez raison charmante enfant, sachez que nous sommes poursuivis par une terrible bande de malfrats, capables de traverser les murs, d’où la nécessité de tenir cette assemblée générale dans un lieu dépourvu de murs. Nous vous aurions invités avec plaisir dans les locaux Des Services Secrets du Rock’n’roll mais l’ennemi a déjà tenté de pénétrer dans cette forteresse invincible, nous les avons repoussés mais maintenant que vous êtes avec nous je ne veux pas que couriez le moindre danger. Ne vous affolez pas, si nous ne trouvions aucun abri sûr d’ici ce soir nous trouverons refuge dans les locaux de la CIA, ils nous accueilleraient avec joie, je pense qu’ils aimeraient devenir propriétaires du secret de la méthode qui permet de traverser les murs, cela les aiderait beaucoup à s’emparer des secrets des chinois qui rêvent de devenir la puissance mondiale numéro 1 et de s’emparer des Etats-Unis.

    Les yeux des jumelles brillèrent de mille feux. Il y a quelques heures encore elles n’étaient que deux lycéennes sages et elles se retrouvaient projetées pratiquement par un coup de baguette magique au cœur des affaires secrètes du monde.

             _ Chef, peut-être pourrions-nous nous mettre à l’abri dans la maison devant laquelle j’ai failli être enlevé par les passeurs de murailles.

    Les filles me regardèrent avec respect, n’étais-je pas un héros invincible qui au dernier moment se tire de tous les dangers. 

             _ Agent Chad, l’idée n’est pas mauvaise, je préfèrerais tout de même une autre solution, certes s’installer dans une demeure connue de nos ennemis est un merveilleux coup d’audace et de poker mais…

    Le Chef ne put terminer sa phrase. Non, ni Molossa, ni Molissito ne donnèrent l’alarme, ce fut Loriane qui proposa une solution miraculeuse :

             _ Vous n’avez qu’à venir à la maison !

             _ En plus papa possède une importante collection de disques de rock !

             _ Et il fume des Coronados !

    75

    Le lecteur m’excusera de ne pas fournir l’adresse exacte de ce petit havre de paix, de ce paradis terrestre qu’était la maison des parents de Doriane et Loriane. Une petite villa dans une rue perdue du seizième arrondissement  entourée des quatre côtés par une large pelouse impeccablement tondue. Du vaste salon central de larges fenêtres permettaient une surveillance quasi panoramique du moindre brin d’herbe.

    Le Chef puisa sans ménagement dans la large provision de Coronados du géniteur de nos deux héroïnes préférées. Molossa et Molossito remarquèrent très vite qu’en sautant de canapés en fauteuils ils pouvaient effectuer le tour de la pièce sans poser une patte sur le plancher ciré. Ils s’amusèrent comme des fous à faire la course sur ce parcours improvisé. Ils ne s’arrêtèrent que lorsque Loriane les appela pour leur offrir deux grosses tranches de pâté de sanglier aux truffes qu’ils dévorèrent en un clin d’œil… Après quoi ils s’allongèrent sur une table basse depuis laquelle ils avaient vue sur l’ensemble du jardin et décidèrent qu’au lieu de monter une garde éreintante et inutile, ils feraient mieux de prendre des forces pour être prêts à affronter les nouvelles péripéties que la suite de nos aventures ne manqueraient pas de leur procurer.

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    Le Chef alluma un Coronado, il avait décidé de tenir un conseil de guerre, la situation est grave et dangereuse avait-il  déclaré en préambule.

    • Agent Chad, je n’ignore pas vos connaissances en mathématiques sont plutôt médiocres mais en toute vérité sans vouloir vous faire mousser auprès de nos charmantes hôtesses, combien avez-vous abattu de gardes qui entouraient Géraldine Loup, prenez le temps de réfléchir pendant que je nous verse une lampée de ce merveilleux whisky de vingt ans d’âge.

    Après avoir froncé les sourcils, signes d’intenses réflexions et compté à plusieurs reprises sur mes doigts :

             _ C’est étrange Chef, j’aurais cru en avoir abattu davantage, toutefois en revisualisant mentalement la scène, je me dois de reconnaître que je n’en ai mis hors de combat que le ridicule chiffre de huit.

             _ C’est à peu près ce que j’escomptais, pour ma part je n’ai guère fait mieux, à peine neuf !

    Les filles poussèrent des exclamations de joie et nous applaudirent mais le Chef doucha leur exubérance :

              _ Or j’ai compté et recompté les cadavres, vingt-quatre en tout. Si je ne m’abuse huit plus neuf égalent :

             _ dix-sept !

    _ Exactement, jeunes filles, nous avons donc sept cadavres de trop !

    _ Ne seraient-ce Chef pas quelques agents de la CIA qui nous auraient filé un coup de main en douce.

    Le Chef prit le temps d’allumer un Coronado, d’aspirer longuement puis d’expirer un long panache de fumée digne d’une locomotive à vapeur :

             _ J’y ai pensé, mais non, les ricains aiment bien se faire voir, ils se seraient débrouillés d’une manière ou d’une autre pour nous faire signe. En plus un léger détail m’oblige à penser que ce ne sont pas eux, figurez-vous que sur les sept cadavres six ont reçu une balle entre les deux omoplates, je n’ai pas eu l’occasion de mesurer mais je jurerais que c’est au juste au centre, pour ainsi dire au millimètre près.

             _ Chef, la CIA n’a pas la réputation d’embaucher des manchots !

    Les filles m’approuvèrent et citèrent une vingtaine de films d’espionnage américains. Le Chef les écouta avec magnanimité mais reprit la parole.

             _ Franchement j’aurais préféré être confronté à des tireurs d’élite américain qu’à l’individu qui s’en est pris à nous ! Ne nous trompons pas, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’est pas venu pour nous défendre, au contraire il était déterminé à se débarrasser de ces empotés qui l’empêchaient de viser l’Agent Chad ! Voyez-vous Agent Chad la mort marchait vraiment à vos côtés.

             _ Il y en a pourtant un, Chef, qui m’avait subrepticement délesté de mon revolver, ils étaient-là aussi pour moi.

             _ Oui mais pas pour vous tuer, vous empêcher de vous défendre oui, vous étiez un gibier de choix réservé !

    Loriane se serra tout contre moi.

             _ Lorsque j’ai déglingué votre voleur, tous les autres se sont jetés sur vous, ils ont paniqué, ils ont voulu vous abattre, ce n’était pas prévu dans le plan, vous étiez la seule cible qui importait, ils ont payé de leur vie leur affolement. 

             _ Donc d’après vous…

             _ D’après moi Géraldine Loup n’était pas la cible prioritaire, peut-être même n’a-t-elle été  plus tard qu’une victime collatérale, faute de grive on abat une merlette ! C’était vous qui étiez LE numéro 1 sur la liste !

             _ Donc le tueur…

             _Agent Chad, n’avez-vous jamais entendu parler de la théorie du genre, c’est très à la mode par les temps qui courent !

    A suivre…